Accident de train à Brétigny-sur-Orge : l'article à lire pour comprendre le procès qui s'ouvre, près de neuf ans après la catastrophe
Accident de train à Brétigny-sur-Orge : l'article à lire pour comprendre le procès qui s'ouvre, près de neuf ans après la catastrophe
Le déraillement du train Intercités Paris-Limoges dans cette gare de l'Essonne, le 12 juillet 2013, avait tué sept personnes et en avait blessé des centaines d'autres. A partir de lundi, et pendant huit semaines, la SNCF et un cheminot sont jugés dans cette affaire pour homicides et blessures involontaires.
C'est le procès de l'une des pires catastrophes ferroviaires en France. La SNCF et un cheminot sont jugés devant le tribunal correctionnel d'Evry (Essonne), à partir du lundi 25 avril et jusqu'au 17 juin, pour "homicides involontaires" et "blessures involontaires", près de neuf ans après l'accident de Brétigny-sur-Orge (Essonne). Sept personnes étaient mortes et 428 avaient été blessées à l'été 2013, lors de ce déraillement. Franceinfo revient sur les enjeux de ce procès de grande ampleur.
Que s'est-il passé ?
Le 12 juillet 2013, à 16h53, le train Intercités numéro 3657, à destination de Limoges, quitte la gare de Paris-Austerlitz avec 385 passagers à son bord. L'arrivée dans la Haute-Vienne est prévue à 20h05. Mais à 17h11, le train déraille au niveau de la gare de Brétigny-sur-Orge. Il devait pourtant traverser ce nœud ferroviaire très fréquenté sans s'arrêter. Le choc se produit à 137 km/h, une vitesse réglementaire à cet endroit, où elle est limitée à 150 km/h. La locomotive et les premières voitures passent. Puis le convoi se désolidarise. La quatrième voiture se couche sur la voie. La sixième fauche, sur sa gauche, le quai numéro 3.
Le bilan humain est lourd. Six personnes, âgées de 19 à 82 ans, meurent sur le coup : deux passagers du train et quatre personnes qui attendaient le RER C sur le quai. Une septième personne succombe à ses blessures à l'hôpital, quelques jours plus tard. Plus de 400 personnes sont aussi blessées, dont certaines très gravement.
Pourquoi parle-t-on beaucoup d'une éclisse dans cette affaire ?
C'est la pièce au cœur du dossier. L'éclisse est une lourde barre métallique, en acier, qui permet de solidariser deux rails consécutifs grâce à des boulons. Elle fonctionne comme une sorte de grosse agrafe. Sur les quatre boulons qui servaient à maintenir l'éclisse au moment du drame, deux avaient rompu et un troisième était absent.
Seul le quatrième boulon était bien en place. Il a servi de pivot dans la rotation à 180 degrés de l'éclisse, admettent tous les experts sollicités. C'est cette rotation qui a fait dérailler les roues du train au niveau de la voiture 4. L'éclisse "est venue se loger dans le cœur de l'appareil de voie, servant en quelque sorte de tremplin à la roue du wagon qui arrivait sur cet équipement", expliquait sur franceinfo, quelques jours après l'accident, le directeur de Réseau ferré de France (RFF) de l'époque, Jacques Rapoport.
Que reproche la justice à la SNCF ?
La SNCF et SNCF Réseau, qui a succédé à RFF, le gestionnaire des voies, sont poursuivis pour avoir commis, durant les années qui précèdent la catastrophe, de nombreuses "fautes", "par choix ou inaction ayant conduit à l'absence de renouvellement des pièces d'aiguillage". Les deux magistrats instructeurs estiment que des "organes ou représentants" de la SNCF ont été "défaillants dans l'organisation, le contrôle et la réalisation des opérations de maintenance" sur le secteur de Brétigny-sur-Orge.
Dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, accablante, les juges l'écrivent noir sur blanc : de "nombreuses contraintes budgétaires et de productivité limitant les moyens en effectifs et en temps" ont contribué à la baisse de qualité de la maintenance des voies, dont la SNCF a la responsabilité. Des fiches de contrôle ont été perdues ou retrouvées incomplètes, y compris par les enquêteurs. Avant le déraillement, les agents de la SNCF pouvaient resserrer ou remplacer des boulons sans le mentionner dans leur compte-rendu.
Les magistrats dénoncent à la fois un "manque de rigueur" des agents et l'insuffisance de leur encadrement et formation. Ils soulignent ainsi l'imprudence et la "négligence" de la part des "différents échelons de décision au sein de la SNCF". Ils constatent également "l'insuffisance des contrôles sur le vif".
En outre, selon les experts judiciaires, il aurait été souhaitable de limiter la vitesse à 100 km/h dans la zone de Brétigny-sur-Orge. D'autant que la circulation accrue des trains dans ce secteur accentue le vieillissement du réseau. Toutes les expertises ont conclu que le train avait déraillé à cause d'un morceau de voie mal entretenu, qui s'était désolidarisé au fil du temps. Or, la SNCF ne pouvait "ignorer les risques engendrés", d'après les magistrats instructeurs, qui regrettent, par ailleurs, "les difficultés rencontrées" pour "recueillir" auprès de l'entreprise "les documents essentiels" à leurs investigations.
Comment l'entreprise se défend-elle ?
Si la SNCF reconnaît la vétusté du réseau à cet endroit, elle écarte toute incidence sur la sécurité des voyageurs. Lors des interrogatoires, les représentants de SNCF Réseau ont affirmé qu'un projet visant à désengorger le trafic de Brétigny-sur-Orge avait été lancé, mais qu'il n'était pas encore formellement approuvé.
La SNCF estime également que l'assemblage métallique incriminé a cédé brutalement à cause d'un défaut de l'acier, et non pas à cause de l'usure. L'accident était imprévisible et ne s'est jamais représenté, argumente l'entreprise, qui assure avoir toujours cherché à en comprendre les raisons. Pour accréditer cette hypothèse qui la dédouanerait, la SNCF a sollicité des experts de son côté. Car les conclusions des experts judiciaires dans le dossier ne l'ont jamais convaincue. Cette bataille devrait se poursuivre pendant les débats lors du procès.
En attendant, la SNCF, contactée par franceinfo, ne souhaite faire aucun commentaire. Elle réserve ses déclarations à l'audience, par respect du tribunal, des parties civiles et des victimes. Elle rappelle toutefois qu'elle a déjà indemnisé, jusqu'à présent, plus de 280 victimes directes et indirectes pour un montant total de 12 millions d'euros. Dans le cadre du procès, le groupe risque une amende de 225 000 euros.
Que sait-on du seul cheminot jugé ?
Une seule personne physique est renvoyée devant le tribunal : le cheminot qui a réalisé la dernière vérification des voies, huit jours avant le drame. Alors âgé de 24 ans, il était directeur de proximité. Il lui est reproché d'avoir "commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer", notamment en effectuant seul la dernière inspection des voies le 4 juillet 2013, "dans des conditions non conformes aux préconisations et avec un niveau de diligence et d'attention manifestement insuffisant". Il n'a rien vu sur l'éclisse.
Pour effectuer sa tournée, il aurait dû être accompagné d'une, voire deux personnes. Devant les juges, il a invoqué une "surcharge" de travail et un manque de personnel formé. La veille de sa tournée, il se plaignait d'ailleurs dans un SMS envoyé à une collègue.
Il a contesté sa mise en examen, une demande rejetée en février 2021. Cet homme de 33 ans ne souhaite pas s'exprimer avant l'ouverture du procès, où il comparaîtra libre. "Cela nous semble prématuré", justifie auprès de franceinfo son avocat, Philippe Valent. Le cheminot encourt jusqu'à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende.
Tout au long de l'enquête, les victimes ont réclamé la mise en examen d'autres cheminots et cadres de la SNCF, souhaitant mettre des visages sur cette catastrophe. "En le renvoyant lui, on fait oublier tout le reste et on en fait un martyr. Les juges ont fait un écrémage excessif", regrette auprès de franceinfo Gérard Chemla, avocat de 30 victimes.
Qu'attendent les parties civiles du procès ?
Beaucoup de victimes dénoncent les nombreuses zones d'ombre qui subsistent malgré les investigations des juges. "On a séché nos larmes. Maintenant, on veut des réponses", réclame Thierry Gomes, président de l'association Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny, dans Le Parisien. "Le procès n'apportera pas de solution miracle, mais il fait partie du chemin de reconstruction", estime Gérard Chemla. Selon l'avocat, les écoutes téléphoniques permettent de comprendre que la SNCF n'assume pas ses fautes.
"Cela aurait dû être un procès d'assises car les faits relèvent du sabotage", a réagi de son côté Xavier-Philippe Gruwez, un autre avocat de victimes, auprès de l'AFP. "Depuis 1997, il s'est mis en place une gestion purement financière qui a conduit à réduire constamment les équipes de maintenance de l'infrastructure et à déstructurer leur formation. Cela a eu pour conséquences que des choses n'ont pas été faites, ou alors mal faites. C'est tout un système qui est remis en cause", a déploré pour sa part sur France Inter un délégué de SUD-Rail. Le syndicat est partie civile au procès, parmi 184 personnes.
J'ai eu la flemme de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?
Le 12 juillet 2013, un train Intercités Paris-Limoges déraille à Brétigny-sur-Orge (Essonne), une quinzaine de minutes après son départ. Cet accident est l'une des pires catastrophes ferroviaires survenues en France lors de ces vingt dernières années. Il coûte la vie à sept personnes et en blesse plus de 400 autres. Le déraillement est lié au détachement et à la rotation d'une l'éclisse, une sorte de grosse agrafe qui sert à raccorder deux rails grâce à des boulons.
Près de neuf ans plus tard, le procès doit permettre de comprendre ce qui a conduit à son détachement, avec un enjeu : déterminer si le déraillement était prévisible ou non. A l'issue de l'information judiciaire, deux personnes morales, la SNCF et le gestionnaire des voies SNCF Réseau, ont été renvoyées devant la justice. Une seule personne physique, un jeune directeur de proximité, va comparaître. Tous sont jugés devant le tribunal correctionnel d'Evry (Essonne) pour "homicides involontaires" et "blessures involontaires" pendant huit semaines, du lundi 25 avril au vendredi 17 juin.