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VRAI OU FAKE. GRAND ENTRETIEN. Comment la post-vérité a-t-elle gagné une place si importante dans notre quotidien ?

A l'occasion de la journée spéciale organisée par France Télévisions sur les fake news, mercredi, franceinfo s'est entretenu avec le chercheur américain James Owen Weatherall, qui a étudié les mécanismes sociaux favorisant la propagation des fausses nouvelles. Désinformation, fake news, infox, théories du complot… Les fausses nouvelles, abondamment diffusées par l'intermédiaire des réseaux sociaux, font désormais partie de notre quotidien. En janvier 2022, un rapport, commandé par la présidence de la République sur le phénomène, soulignait les dangers que peuvent représenter les "désordres informationnels à l'ère numérique" susceptibles de faire disparaître "l'espace (…) commun nécessaire à la confrontation des opinions, des idées et des valeurs, autrement dit, à la vie démocratique". Comment les fausses nouvelles arrivent-elles à se propager ? Pourquoi parviennent-elles à fracturer notre société ? Afin de répondre à ces questions, franceinfo a interrogé le chercheur américain James Owen Weatherall, professeur de logique et de philosophie des sciences à l'université de Californie. Il est coauteur de The Misinformation Age (‎Yale University Press, 2019), un ouvrage qui analyse les dynamiques sociales participant à la diffusion de la désinformation. Franceinfo : La désinformation n'est pas un phénomène nouveau, pourquoi le problème apparaît-il plus préoccupant aujourd'hui ? James Owen Weatherall : Au moins pour deux raisons. La première est l'essor des nouvelles technologies – en particulier les réseaux sociaux et leurs algorithmes – qui rendent la désinformation plus difficile à détecter et plus facile à diffuser auprès d'un large public. La seconde est une évolution des objectifs de la désinformation. De plus en plus, son but est de créer de l'incertitude et de l'instabilité, de saper les institutions de confiance, plutôt que de convaincre les gens que certaines fake news sont vraies. Même si, bien sûr, elles y parviennent parfois. Quels sont les principaux sujets aujourd'hui ciblés par la désinformation ? Ils sont nombreux et varient d'un pays à l'autre. L'un des sujets principaux, en particulier en Europe, concerne la guerre en Ukraine. Les deux camps et leurs alliés tentent de convaincre le monde (ou leurs propres citoyens) qu'ils sont en train de remporter le conflit. Un autre sujet qui continue d'être visé est la vaccination, que ce soient les vaccins traditionnels pour enfants ou, bien sûr, ceux contre le Covid. Aux Etats-Unis, la désinformation à propos de la fiabilité du processus électoral est aussi un problème majeur.  Pourquoi certaines personnes font-elles confiance aux fake news ? Existe-t-il un point de bascule à partir duquel elles cessent de faire confiance aux médias traditionnels ? Pour certaines personnes, c'est parce que les fake news leur racontent ce qu'elles veulent entendre et qu'elles correspondent mieux à leur vision du monde. D'autres ont cessé de faire confiance aux sources d'informations traditionnelles et considèrent que tous les médias, qu'ils soient de mauvaise ou de bonne qualité, sont comparables. Enfin, certains ne croient pas aux fake news, mais les partagent pour exprimer une appartenance politique ou obtenir des réactions de la part d'autrui. Je ne sais pas s'il existe un point de bascule définitif, mais je pense que beaucoup de personnes estiment que les médias traditionnels sont biaisés et qu'ils essaient d'induire les gens en erreur. Quelles responsabilités les médias traditionnels portent-ils dans cette crise de confiance ? Parfois, c'est simplement parce que ces médias ne disent pas ce que les gens ont envie d'entendre. Mais il y a d'autres facteurs. Par exemple, dans certains domaines du journalisme scientifique, il y a une tendance à mettre en avant des études aux résultats surprenants ou contraires au consensus. Cela peut donner l'impression que les résultats scientifiques sont constamment invalidés, ce qui, en retour, sape la confiance dans le journalisme scientifique. Dans d'autres domaines, il est très difficile, voire impossible, d'écrire un article sans afficher un point de vue particulier ou prendre parti pour certaines valeurs. Les personnes qui ne partagent pas ces valeurs peuvent en conclure que les médias grand public sont biaisés. Les fake news touchent-elles des catégories de personnes en particulier ? Ce phénomène peut toucher tout le monde, quelles que soient son origine sociale et son éducation. Tout d'abord, je pense que les sites web qui se font passer pour du journalisme légitime, mais diffusent des fausses informations, ne représentent qu'une toute petite partie du problème de la désinformation. Le véritable problème est plus subtil : les mèmes [des images ou des vidéos détournées à des fins souvent humoristiques] peuvent diffuser des informations erronées sans avoir l'air d'énoncer quelque chose de faux, tout en suscitant des réactions émotionnelles. Les politiques ou les acteurs économiques peuvent communiquer des informations trompeuses à partir de faits partiellement ou même complètement vérifiés. Enfin, la désinformation peut être propagée par les "non-experts", des personnes qui mènent des "recherches" en ligne sans avoir le bagage nécessaire pour contextualiser ce qu'elles lisent dans des revues scientifiques. >> Vrai ou Fake : le rachat par Elon Musk de Twitter entraînera-t-il la divulgation de plus de fake news ? Je pense également que, compte tenu du caractère politisé de la désinformation, il est contreproductif de présenter les personnes croyant aux fausses nouvelles comme inintelligentes ou dépourvues d'éducation. Cette vision est d'ailleurs un outil de manipulation en soi, utilisé pour accroître la polarisation de la société. Beaucoup d'auteurs de désinformation en font usage pour convaincre un groupe (ceux qui ne croient pas à la désinformation) que l'autre groupe (celui qui partage ou croit la fake news) est stupide. Dans ce cas, qui est celui qui tombe le plus dans le panneau ? Les fausses nouvelles s'échangent souvent au sein de communautés, sur les réseaux sociaux ou dans la vie réelle… Les communautés réduites de personnes partageant les mêmes valeurs sont souvent plus réceptives aux informations partagées par les autres membres du groupe. Les deux facteurs clés, ici, sont la confiance et le conformisme. Très souvent, ces personnes font plus confiance aux membres de leur groupe qu'aux grands médias. Le partage de certains types d'informations peut être un moyen de se conformer aux autres personnes, mais aussi de signaler l'appartenance à un groupe. Les communautés en ligne peuvent amplifier ces effets en permettant à des personnes partageant les mêmes idées, mais résidant dans des endroits différents, de se retrouver facilement. Quel rôle jouent les algorithmes utilisés sur les réseaux sociaux dans la création de bulles informationnelles ? L'existence de bulles d'information est une question complexe, car de nombreuses études ont montré que la plupart des gens sont exposés à un large éventail de sources d'informations. Le plus important est peut-être de savoir comment ils réagissent à ces informations. Le principal rôle des algorithmes est qu'ils ont tendance à mettre en valeur les contenus à fort engagement, et en particulier ceux à forte charge émotionnelle, qui peuvent à leur tour susciter de fortes réactions (positives ou négatives). Comment des pays comme la Russie utilisent-ils la désinformation pour atteindre le public occidental ? Les services de renseignement russes et l'Internet Research Agency (IRA), une organisation soutenue par la Russie, étudient de très près les médias et la culture des Occidentaux. Ils créent des contenus – souvent des mèmes – destinés à semer la division. Ils le font davantage à l'approche des élections aux Etats-Unis et en Europe occidentale. Le but est, en partie, d'aider un candidat, mais aussi de déstabiliser les institutions politiques occidentales. Par exemple, la Russie a diffusé des contenus ciblant les partisans du mouvement Black Lives Matter pendant l'été 2016. Quelles différences ou similitudes constatez-vous en Europe et aux Etats-Unis concernant les phénomènes de désinformation ? Il y a beaucoup de similitudes. Dans les deux cas, la Russie est une source majeure de désinformation déstabilisante. Les controverses politiques sont similaires, la désinformation basée sur les mèmes étant l'un des principaux outils d'une droite ethno-nationaliste qui monte dans plusieurs pays européens et aux Etats-Unis. Nous constatons également que nombre de théories du complot, notamment sur l'innocuité et l'efficacité des vaccins ou la gravité du Covid, vont et viennent de part et d'autre de l'Atlantique. Pourtant, il existe des différences. Par exemple, il semble que le récent épisode de désinformation observé durant la présidentielle américaine de 2020 ne se soit pas reproduit en Europe occidentale. En outre, l'Union européenne et plusieurs Etats membres ont été beaucoup plus proactifs que les Etats-Unis en matière de réglementation des médias sociaux. Il sera très intéressant de mesurer l'efficacité de ces efforts. Comment évaluez-vous l'efficacité des initiatives de lutte contre la désinformation, comme le fact-checking ou l'éducation aux médias ? Il est difficile d'évaluer ces initiatives, bien que je n'aie pas vu beaucoup de preuves de leur efficacité. Des méthodes plus efficaces consistent à retirer les contenus problématiques des médias sociaux et à rendre le partage et la consultation de fausses informations plus difficiles, en ajoutant des étapes au processus de publication. Alors, quelles seraient les solutions à mettre en œuvre pour faire reculer la désinformation ? Les plus grands changements à apporter sont d'ordre algorithmique. Les entreprises qui gèrent les réseaux sociaux accordent de l'importance à l'engagement des utilisateurs et au temps passé sur leur site. Les informations sensationnelles et chargées d'émotions augmentent l'engagement. Or, ce type de contenu est souvent trompeur. Les algorithmes doivent être modifiés pour valoriser la véracité et l'exactitude des faits.

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