Voile à l'école : indignation après le départ d'un proviseur menacé de mort, l'État va porter plainte
Le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé mercredi soir que l'État "allait porter plainte" pour "dénonciation calomnieuse" contre l'élève qui a accusé le proviseur de son lycée parisien de l'avoir violentée après son refus d'enlever son voile. Le chef d'établissement avait été reçu quelques heures plus tôt à Matignon.
Le Premier ministre Gabriel Attal sur le plateau du journal télévisé de TF1, le 27 mars 2024.
"Échec collectif", "défaite de l'État" : l'annonce du départ du proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel, menacé de mort après une altercation avec une élève pour qu'elle enlève son voile, suscite une vague d'indignation. Le chef d'établissement s'est rendu mercredi 27 mars à Matignon.
Le Premier ministre a tenu "à apporter son soutien au proviseur et à la communauté éducative" en le recevant dans l'après-midi, avait indiqué son entourage avant ce rendez-vous où Gabriel Attal était accompagné de sa ministre de l'Éducation nationale, Nicole Belloubet.
Le Premier ministre a estimé mi-mars que la laïcité à l'école "est menacée", et s'était dit "engagé pour le plein respect" de ce principe, alors que son application à l'école continue à faire des remous, vingt ans après la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires dans les établissements.
Dans la soirée, le chef du gouvernement a annoncé que l'État "allait porter plainte" pour "dénonciation calomnieuse" contre l'élève qui avait accusé le proviseur de son lycée de l'avoir violentée après son refus d'ôter son voile.
"L'État, l'institution, sera toujours aux côtés de ses agents, de ceux qui sont en première ligne face à ces atteintes à la laïcité, face à ces tentatives d'entrisme islamiste dans nos établissements scolaires", a fait valoir le chef du gouvernement sur TF1, au lendemain de l'annonce du départ du proviseur du lycée Maurice-Ravel, menacé de mort depuis l'incident.
Début mars, Nicole Belloubet s'était rendue à la cité scolaire Maurice-Ravel, dans le XXe arrondissement, pour apporter son "soutien" au chef d'établissement, déplorant les "attaques inacceptables" dont il était la cible sur les réseaux sociaux depuis l'altercation le 28 février avec l'élève scolarisée en BTS.
Une enquête avait été ouverte à Paris pour cyberharcèlement, après des menaces de mort à l'encontre du proviseur proférées sur Internet. Un jeune homme de 26 ans, originaire des Hauts-de-Seine, a été arrêté et doit être jugé le 23 avril à Paris pour l'avoir menacé de mort sur Internet.
"Ces coups de boutoir ont fait récemment deux victimes"
"La laïcité" est "sans cesse mise à l'épreuve. Et on le voit, il y a une forme d'entrisme islamiste qui se manifeste notamment dans nos établissements scolaires", a déclaré Gabriel Attal, mercredi soir sur TF1.
"Cet entrisme, ces coups de boutoir ont fait récemment deux victimes dans la famille de l'Éducation nationale, Dominique Bernard et Samuel Paty", a-t-il dit. Ces deux enseignants ont été tués dans des attentats islamistes, Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine en octobre 2020 et Dominique Bernard à Arras en octobre 2023.
Dans l'après-midi, Gabriel Attal avait rendu hommage au proviseur "parce qu'il a une très grande dignité dans cette épreuve. Il devait partir en retraite au mois de juin. (...) Certains lui ont conseillé, pour des raisons de sécurité, de partir un peu plus tôt", a dit Gabriel Attal.
Il "a tout simplement fait son travail". "Il a demandé à une jeune femme d'appliquer la loi, c'est-à-dire de retirer son voile dans l'établissement scolaire. Cette jeune femme l'a refusé et, pire encore, elle a cherché à l'intimider en l'accusant de l'avoir molestée ou de violence", a-t-il dit.
"Ces accusations" ont "ensuite été relayées sur les réseaux sociaux", y compris "par certains élus, je pense à une députée de La France insoumise", et ont "donné lieu à des menaces de mort à l'endroit de ce proviseur", a-t-il dit.
"Voilà à quoi aboutit le 'pas de vagues'"
Deux plaintes avaient, par ailleurs, été déposées : une par l'élève "pour violences n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail", et une par le proviseur "pour acte d'intimidation envers une personne participant à l'exécution d'une mission de service public pour obtenir une dérogation aux règles régissant ce service".
La plainte de l'élève a été classée sans suite pour "infraction insuffisamment caractérisée", a indiqué mercredi le parquet de Paris.
Un mois après les faits, le proviseur a quitté ses fonctions "pour des raisons de sécurité", selon un message envoyé mardi aux enseignants, élèves et parents par le nouveau chef d'établissement. Le rectorat, lui, a évoqué "des convenances personnelles" et un "départ anticipé" à la retraite, à "quelques mois" de celle-ci, "au vu des événements qui ont marqué ces dernières semaines".
Ce départ anticipé a suscité une vague d'indignation dans la classe politique. De la gauche à l'extrême droite, des responsables ont déploré un "échec" face à la "mouvance islamiste".
"Voilà à quoi aboutit le 'pas de vagues', voilà où nous mènent les petites lâchetés et les grands renoncements", a réagi le président des sénateurs Les Républicains Bruno Retailleau.
"Équipes mobilisées"
"On ne peut pas l'accepter", a déclaré le chef des députés socialistes Boris Vallaud, dénonçant un "échec collectif".
"C'est surtout une défaite de l'État", a estimé sur Sud Radio la tête de liste Reconquête ! aux élections européennes, Marion Maréchal.
La maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, est "atterrée et consternée" mais "comprend" la décision "de se protéger", selon son cabinet. Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, a jugé que les "agresseurs (du proviseur, NDLR) doivent être mis hors d'état de nuire".
Le proviseur "n'a pas démissionné", a pour sa part affirmé Nicole Belloubet devant la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée. "Il est en retrait (...). Il est actuellement en autorisation spéciale d'absence jusqu'au mois de juillet, jusqu'à la date de sa mise à la retraite", a-t-elle ajouté.
Le nouveau proviseur de la cité scolaire, qui a pris ses fonctions lundi, a expliqué avoir été "missionné par la direction académique" pour assurer l'"intérim jusqu'au mois de juillet prochain", dans son message à la communauté éducative.
Lors de sa visite début mars dans l'établissement, Nicole Belloubet avait souligné qu'une "série de mesures" avait été prise pour protéger le proviseur, "de la protection fonctionnelle à un travail sur les réseaux sociaux, en lien avec la plateforme Pharos" de signalement des contenus illicites en ligne, en passant par "la sécurisation de l'établissement".
Son ministère a assuré mercredi qu'il "n'abandonn(ait) jamais ses agents" face aux menaces et que ses équipes "demeurent mobilisées".
Avec AFP