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Travail par 50 degrés, passeports confisqués... Vinci au Qatar dans le viseur de la justice

DROITS HUMAINS Les travailleurs de QDVC (Qatari Diar/VINCI Construction Grands Projets), la branche qatarie du géant français de la construction Vinci, préparent du ciment dans la capitale Doha, le 24 mars 2015. Vinci Construction Grands Projets (VCGP), filiale du groupe Vinci, a été mise en examen, mercredi, après une plainte de l’ONG Sherpa et d'anciens employés pour réduction en servitude sur des chantiers au Qatar. Vinci nie les faits et critique une décision prise à quelques jours de l’ouverture de la Coupe du monde de football.  Les chefs d'accusation sont éloquents. Vinci Construction Grands Projets (VCGP) a été mise en examen mercredi 9 novembre, en France, pour "soumission à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité", l’"obtention de la fourniture d’une personne en situation de vulnérabilité ou de dépendance de services, avec une rétribution sans rapport" et la "réduction en servitude". Une décision qui intervient sept ans après une première plainte déposée par l’association Sherpa, dénonçant le traitement réservé à ses employés sur trois chantiers au Qatar, entre 2011 et 2019.   Soudeur, guetteur, plombier, mécanicien, maçon… Dans des témoignages unanimes recueillis en 2014 et 2018, consultés par France 24, douze anciens employés évoquent une rémunération très faible pour des semaines de travail de 66 h à 77 h, parfois sans jour de repos, des conditions de vie indignes et des passeports confisqués.   Onze heures de travail par jour  "Je travaillais de 6 h du matin à 6 h du soir, avec une heure de pause à midi", témoigne ainsi un ouvrier indien, employé entre décembre 2012 et décembre 2015. "Nous faisions 8 heures de travail et 3 heures supplémentaires par jour et je travaillais deux vendredis par mois, donc 7 jours sur 7". Un rythme contraire à la loi qatarie, pourtant déjà peu protectrice, qui limite à 12 heures les heures supplémentaires hebdomadaires, contre 18 heures à 21 heures pour les cas concernés, et prévoit un jour de repos minimum le vendredi, selon l'ONG Sherpa.    Un autre, employé jusqu’en 2017, explique avoir démissionné après avoir développé des problèmes cardiaques. À Lusail, ville nouvelle qui accueillera la finale de la Coupe du monde, il travaillait au pompage de l’eau, à 30 mètres de profondeur, sur le chantier du métro, sans autre ventilation, dit-il, que de "petits ventilateurs de table", et sans masque à oxygène. "Je n’avais pas de problèmes cardiaques avant d’aller au Qatar, écrit-il. J’ai commencé à en avoir à cause des gaz, des émanations, du pétrole…". Rentré en Inde, il affirme ne plus pouvoir exercer de travail physique.   >> "C'est une main-d'œuvre jetable" : l'enfer des travailleurs migrants au Qatar Des accusations balayées par l’avocat de Vinci, pour qui ces témoignages ne sauraient représenter une preuve : "Les faits ne correspondent pas à la réalité. Deux-cent-quarante mille salariés sont passés sur les chantiers de Vinci au Qatar, et l’ONG Sherpa a trouvé 12 victimes, pointe ainsi Maître Versini-Campinchi. Ils sont revenus après la fin de leur contrat et ont travaillé six ans. Il s’agit d’adultes consentants, il est difficile de parler de contrainte dans ce contexte."   Confiscation de passeport   Pour autant, les employés, constitués partie civile aux côtés de Sherpa et du Comité contre l'esclavage moderne (CCEM), sont une majorité à évoquer la confiscation de leur passeport, jusqu'à au moins 2015, associée à l’interdiction de changer d’employeur au Qatar. Plusieurs expliquent aussi avoir dû régler des frais élevés auprès d’agences de recrutement dans leur pays d’origine. Si Vinci assure les avoir systématiquement remboursés, l’un des plaignants l’affirme : "J’ai payé 85 000 roupies népalaises [plus de 600 euros] pour venir [au Qatar]. QDVC [filiale de Vinci au Qatar] ne m’a jamais rendu cet argent." Unanimes ils évoquent des conditions de travail "très dures", souvent en plein soleil. Un surveillant, employé jusqu’en 2017, parle ainsi d’une température habituelle de "45, parfois 50 degrés", associée à une forte humidité causant des "difficultés respiratoires." "J’ai vu des personnes tomber", explique-t-il.   >> Reporters, Qatar : les travailleurs de l'ombre La plainte déposée par Sherpa vise aussi les conditions de vie des employés, logés par l’entreprise dans des camps situés dans le désert, à une heure de route des chantiers. Jusqu’à au moins 2015, ils vivaient ainsi à six par chambre, se partageant une salle de bain à 12, voire 15 personnes.   "Les standards au Qatar ne sont pas les mêmes" "Ce n’est pas Vinci qui décide des conditions de vie des employés sur place, mais la société qatarie, où la filiale de Vinci est minoritaire, réagit Me Versini-Campinchi, renvoyant la responsabilité à la société QDVC, détenue à 49 % par VCGP. Et ces ouvriers n’ont pas été maltraités, ils ont été traités différemment qu’en France. Les standards de travail au Qatar ne sont pas les mêmes."   Sherpa espère cependant que la responsabilité pénale de la multinationale sera retenue et qu’un "signal fort" leur sera envoyé. "Nous pensons que VCGP avait la main sur les conditions de vie et de travail des travailleurs, affirme ainsi Laura Bourgeois, chargée de contentieux et de plaidoyer à Sherpa. Il ressort des éléments du dossier que l’élaboration et la mise en œuvre des règles relatives au recrutement, au logement et aux conditions de travail appartenaient à VCGP. Sans compter que le directeur général de QDVC de l’époque était également salarié de VCGP. Nous espérons que cette mise en examen enverra aux multinationales le signal qu’il est désormais de plus en plus difficile de se cacher derrière l’idée que ce que font leurs filiales ne les regardent pas."  Ce sera donc à la justice de trancher, à quelques jours de l’ouverture de la Coupe du monde au Qatar, où quelque 6 500 travailleurs migrants auraient trouvé la mort depuis l'attribution du mondial à l'émirat en 2010, selon une enquête du Guardian.

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