TEMOIGNAGE. "Scandalisé, j'ai dénoncé l'abattoir où je travaillais"
Ouvrier à l'abattoir municipal de Limoges, Mauricio Garcia Pereira a dénoncé l'abattage de vaches gestantes avec des images chocs. Mais plus de quatre ans après le "scandale", rien n'a changé. Et Mauricio n'a pas retrouvé d'emploi.
Mauricio Garcia Pereira, 51 ans, se réjouit de la réédition de son livre Ma vie toute crue(éd. Plon) où il raconte son expérience à l'abattoir municipal de Limoges (Haute-Vienne), le plus grand de France. A l'époque de son embauche, il est heureux d'y avoir décroché un emploi et "fier de contribuer à nourrir la France et ses deux enfants". Mauricio a grandi dans une immense ferme en Galice, en Espagne. "Les propriétaires élevaient 2 000 vaches et 10 000 porcs et employaient mes parents."
A l'abattoir, la cadence infernale du travail à la chaîne ne lui fait pas peur, mais la découverte du sort réservé aux vaches gestantes et à leurs fœtus "jetés à la poubelle comme des déchets" ébranle profondément l'ouvrier. Mauricio, qui travaille surtout au cuir, est appelé pour faire un remplacement à la boyauderie. "Des fœtus, je savais qu'il en arrivait un de temps en temps. Ce jour-là, je prends conscience que, tous les jours, on jette à la poubelle, avec les tripes, une quinzaine de petits veaux, parfois complètement formés avec des poils."
"Un veau, ça coûte trop cher et il faut contrôler le prix du marché. Ce n'est qu'une question d'argent"
Outré, il ne cache pas son étonnement et interpelle son responsable, qui lui assure qu'"il n'y a aucun problème" et lui enjoint de "faire comme d'habitude". "J'ai râlé de nombreuses fois, explique-t-il. On m'a dit de fermer ma g..., de baisser la tête et de faire mon boulot. Si je n'étais pas content, je n'avais qu'à partir." Il aspire à plus d'éthique. Il se renseigne, parle autour de lui. Aussi choquant soit-il, l'abattage des vaches gestantes est légal. "Je ne comprends pas comment, en France, on peut abattre des vaches qui sont pleines. Elles sont inséminées et on les tue pour contrôler les naissances. Un veau, ça coûte trop cher et il faut contrôler le prix du marché. Ce n'est qu'une question d'argent."
Mauricio est hanté par les centaines de fœtus. Il prend tout de même quelques photos avec son téléphone portable. "L'idée de dénoncer la pratique cheminait dans ma tête depuis des années. Mais, moi, je n'étais personne. J'avais quinze copains sur Facebook, ça n'aurait eu aucun impact." C'est en regardant un reportage télé sur la maltraitance dans un abattoir du Gard qu'il décide d'agir. "Je me suis dit que s'ils trouvaient ces images choquantes, je pouvais leur en fournir des bien pires de mes vaches gestantes !"
Mauricio ne se cache pas et accepte de témoigner à visage découvert. Une première...
Il contacte l'association L214 et, avec son téléphone, envoie des photos de deux petits veaux formés et morts. "Chez L214, ils ont halluciné. Ils n'arrivaient pas à croire que c'était en France..." On lui fournit une caméra GoPro. Il faudra neuf mois pour que Mauricio capture les images qui feront "scandale" autour de l'abattage des vaches gestantes. Mauricio ne se cache pas et accepte de témoigner à visage découvert. Une première.
Choquée, l'opinion publique découvre la pratique. Des pétitions sont lancées. Le scandale remonte lors de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale sur l'encadrement des 200 000 vaches gestantes abattues en France (sur plus de 1 750 000 vaches). Des amendements visant à interdire l'abattage des animaux gestants seront rejetés en 2017.
"Il faut arrêter la malbouffe et manger moins de viande, mais de meilleure qualité"
Publiquement, Mauricio est honni. Bon ouvrier, il perd son emploi à l'abattoir. Et le rebond ne viendra pas. "Les soutiens, je les ai eus, mais en privé, si un regard pouvait tuer, je serais déjà fusillé. Il faut comprendre que la vache limousine fait vivre la région." Depuis, le père de famille est en recherche d'emploi et la crise sanitaire n'aide pas aux embauches.
Aujourd'hui, Mauricio ne mange plus de mammifères. Il a tenté le véganisme, sans succès. "J'ai fini à l'hôpital avec une infection du côlon. Je suis végétarien, à présent. Je ne juge pas les gens qui consomment de la viande. Il faut arrêter la malbouffe et manger moins de viande, mais de meilleure qualité, c'est déjà un début. Il faut un temps d'adaptation. Les mentalités évoluent sur les conditions d'abattages des animaux. C'est cela qui fera bouger les politiques et le business. Mais c'est long."
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