TEMOIGNAGE. "Avec mon ami Luca, nous avons été otages au Sahara pendant 450 jours"
L'Afrique, Edith en avait toujours rêvé. Un rêve devenu cauchemar. Détenue quinze mois dans l'enfer islamiste, son récit stupéfie par sa force et sa sagesse...
Elle était partie de son Canada natal pour participer à un projet écologique au Togo, avec Luca, son meilleur ami et flirt italien. L'aventure d'Edith, Québécoise de 36 ans, va tourner au drame. "Nous avions traversé prudemment l'Afrique en voiture, à une erreur près : un détour par le Parc des éléphants, au sud duBurkina Faso, sans nous renseigner sur la sécurité de la zone", regrette Edith. Au dernier check-point avant d'arriver au Bénin, tout bascule : "Mon sang s'est glacé. Six hommes enturbannés nous attendaient, armés de kalachnikovs. Je me souviendrai toujours du regard que Luca et moi avons échangé à cet instant."
Ils perdent vite l'"espoir" d'être seulement dépouillés en entendant : "Bienvenue à Al-Qaïda..." Des djihadistes ! Les deux amis ont le réflexe de se dire mari et femme pour ne pas être séparés. Mais ce ne sera pas si simple. Plus rien ne sera logique à compter de ce 17 décembre 2018. Edith et Luca sont déplacés, d'abord ensemble, à travers le Sahara, et se retrouvent aux mains de différentes factions qui les transportent en pick-up, plantant ici et là des campements de fortune. Ils ne comprennent pas la langue et, détail d'importance, Edith n'a plus de lentilles de contact : autour d'elle, le monde est flou pour un an et demi. Et fou.
Parfois, leurs geôliers ne sont que des enfants de 13 ans... armés de kalachnikov
Mais que veulent leurs ravisseurs ? Les otages n'en savent rien. Les ravisseurs le savent-ils eux-mêmes ? Les gouvernements ont pour principe de ne jamais payer de rançon. Les familles d'Edith et Luca ne sont pas riches. Le principe de la terreur est finalement qu'elle n'a pas de but. Les jours par 50 °C, les tempêtes de sable, les nuits à grelotter, les fourmis voraces, les serpents et les scorpions, sont une chose ; leurs gardes une autre. Parfois, ce sont des enfants : "Ils pouvaient avoir de 13 à 15 ans. Des soldats miniatures tenant de grosses kalachnikovs !", se souvient la jeune femme.
Pour se détendre entre deux prières, leurs geôliers vident parfois leur chargeur en l'air. Dans l'espoir d'être libérés, Edith et Luca entament une grève de la faim de vingt-cinq jours. Ils sont alors privés d'eau. Pour survivre, Edith prend exemple sur les chameaux et... mange de l'herbe. Luca, lui, boit son urine. "Je n'ai pas perdu confiance dans l'humain, précise Edith, mais ceux-là sont éduqués à ne jamais réfléchir et à obéir aux lois religieuses islamistes." Au 77e jour, premier drame : on les sépare ! Heureusement, Edith est enfermée avec trois autres femmes otages. Parmi elles, la Française Sophie Pétronin, libérée en octobre 2020 après presque quatre ans de captivité (et qui est depuis retournée au Mali qu'elle aime tant), qui lui donne un stylo, son trésor pour plusieurs mois.
"J'ai vécu seule, sans parler. Plus un mot. J'ai eu peur pour ma survie mentale, je baissais..."
Pour se repérer dans le temps, Edith écrit un poème chaque jour. On les retrouve dans son livre, poignants. "Ecrire et réfléchir m'aidait à ne pas devenir folle, murmure-t-elle. L'une de nos codétenues avait perdu la raison..." Son quotidien est hallucinant : elle compte les fourmis, mange de l'anus de mouton, vit recouverte de tissus pour ne pas offenser le regard des hommes, "des jours 77 à 241", comme elle dit.
Mais le pire arrive les jours 244 à 415 : "Là, j'ai vécu seule, sans parler. Plus un mot. J'ai eu peur pour ma survie mentale, je baissais..." Sans eau ni électricité, dans sa tente cernée par le désert, elle cesse de compter les jours. Et on la force à se convertir à l'Islam : "Un moindre mal. Je devais survivre. Aujourd'hui, je n'ai rien gardé de cette religion... J'ai voulu tout laisser derrière moi le jour où nous avons quitté les moudjahidines."
Après leur évasion, en mars 2020, Edith et Luca, déboussolés, découvrent la pandémie
Son salut, elle le doit à un nouveau déplacement où elle retrouve Luca, vivant, même s'il a été battu pour avoir voulu s'enfuir. C'est cette humanité retrouvée qui leur donne le courage de fuir, en pleine nuit dans le sable infini, "au jour 450". Miraculeusement pris en stop sur une piste par "un gentil" qui a tout compris, ils sont déposés après des heures périlleuses devant un bâtiment de l'Onu au Mali. Nous sommes le 14 mars 2020. Ils découvrent qu'il y a une pandémie, leurs pays les fêtent, puis leurs familles, restées sans nouvelles. "Tout était trop, j'étais déboussolée...", confie Edith.
Luca se répare depuis dans les montagnes italiennes, Edith à Sherbrooke, au Canada, près de sa famille. "Le temps d'écriture du livre, je me revivais en captivité dans mes cauchemars. Maintenant, je goûte tout plus fort : la nature, le café du matin, un vrai lit, me laver, et... manger végétarien !" Et de conclure en riant : "Je vais bien, mais je n'ai rien oublié !"
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