Tabassage de Michel Zecler : "Envoyé spécial" révèle un montage se moquant de la mort de George Floyd dans le téléphone de l'un des policiers mis en examen
Cinq mois après la violente agression de cet homme par des policiers à Paris, l'émission "Envoyé spécial", sur France 2, est parvenue à obtenir des messages échangés par l'un des suspects. "Dans la police, nos idées changent, parce qu'on est amené à interpeller toujours le même type de population", a-t-il justifié auprès de l'équipe de journalistes.
Cinq mois après le tabassage dont il a été victime, le 21 novembre dernier, Michel Zecler en reste convaincu : les policiers ont été attirés par son "look" et sa "couleur de peau". Ce 21 novembre, alors qu'il circule sans masque et aperçoit un véhicule de police, ce producteur de musique noir se hâte pour rejoindre le studio d'enregistrement, dans le 17e arrondissement de Paris. Mais alors qu'il est entré dans le sas, plusieurs agents le rejoignent et tentent de l'emmener dans la rue. Michel Zecler ne commet aucun geste hostile mais refuse de sortir, ce qui lui vaut d'être roué de coups durant cinq minutes. Il est finalement extrait de l'immeuble et menotté, après usage de gaz lacrymogène.
"Je suis dégoûté que tous ces bâtards soient acceptés en France"
Trois policiers sont mis en examen pour "violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique", avec plusieurs circonstances aggravantes, dont celle de racisme. En effet, le producteur assure avoir été insulté ("sale nègre", "On va te défoncer") pendant l'intervention, ce que les policiers ont toujours nié lors des interrogatoires. S'il était prouvé que de tels propos à caractère raciste ont bien été prononcés, il s'agirait alors d'une circonstance aggravante. Mais il n'y a pas de son sur les images de vidéosurveillance qui ont permis de faire éclater l'affaire, et c'est donc parole contre parole.
Michel Zecler a été passé à tabac le 21 novembre 2020 dans l'entrée d'un studio d'enregistrement à Paris. (ENVOYE SPECIAL / FRANCE 2)
Une équipe de l'émission "Envoyé spécial", sur France 2, est toutefois parvenue à obtenir plusieurs messages qui éclairent le profil de l'un des policiers mis en cause dans cette affaire, celui qui est entré le premier dans le sas du studio. Aucune allusion à la couleur de peau de Michel Zecler n'a été retrouvée dans son téléphone, mais deux éléments sèment tout de même le doute. Les enquêteurs ont en effet découvert une l'image de l'agonie de George Floyd, dont le cou est écrasé par le genou du policier américain Derek Chauvin. "Quand tu dégonfles ton matelas en fin de soirée", est-il écrit sur ce montage publié dans un groupe de discussion privé, et daté du mois de mai.
Envoyé spécial. Affaire Michel Zecler : des éléments troublants dans le téléphone d'un des trois policiers mis en cause (ENVOYÉ SPÉCIAL / FRANCE 2)
Un peu plus tard, au mois d'août, le policier échange des messages avec une proche, qui s'enquiert des "violences" auxquelles il est confronté. "Je suis dégoûté que tous ces bâtards soient acceptés en France et que l'on [fasse] rien", répond-il. Et, alors que son interlocutrice lui "interdit de devenir raciste", il ajoute : "Ben c'est pas du racisme mais tous les bâtards qui foutent la merde ce sont tous les mêmes…" A ce stade, toutefois, ces deux éléments ne permettent pas seuls d'établir le caractère raciste de l'agression commise quelques mois plus tard, en novembre.
"Amené à interpeller toujours le même type de population"
Malgré tout, ces préjugés ont-ils pu avoir une influence sur l'attitude du policier le soir de l'agression ? L'équipe d'"Envoyé spécial" a réussi à le rencontrer, tout en filmant la scène en caméra cachée. Interrogé à propos de ce groupe privé, il se défend de toute intention raciste. "J'ai un groupe d'amis où on s'envoie des conneries, mais comme tout le monde, y a des vidéos de chats qui se cassent la gueule, il y a de tout." Quant aux messages échangés avec une proche, il estime que "dans la police, nos idées changent, parce qu'on est amené à interpeller toujours le même type de population."
Ce policier, l'un des deux que Michel Zecler accuse d'avoir tenu des propos racistes, affirme que les agents sont "beaucoup confrontés à des gens de toutes origines", mais que "ce n'est pas pour autant [qu'ils] sombrent dans le racisme". Il assure que le producteur n'a pas été contrôlé en raison de sa couleur de peau, mais en raison d'un "comportement suspect, parce qu'il fuyait le véhicule de police quand il nous a vus", et qu'il ne portait "pas de masque". Il cite pour preuve le fait que Michel Zecler avait une capuche "et qu'on ne pouvait pas voir qu'il était noir dans la nuit".
"Les trois collègues qui interviennent n'ont jamais eu de souci d'ordre déontologique, avec des propos déplacés, des propos racistes", insiste Yoann Maras, secrétaire régional du syndicat Alliance à Paris, en citant leurs états de service – ce que confirment les documents en question, que France 2 a pu consulter. Mais cet argument ne convainc pas vraiment Michel Zecler. "On ne peut pas me dire qu'ils avaient fait une formation en bonne et due forme, réagit-il. J'ai ouï dire qu'ils étaient bien notés, du coup j'ai peur de voir ceux qui sont mal notés."
L'examen des téléphones, en tout cas, prouve que leur hiérarchie directe n'a pas désavoué les policiers. Leur major les a d'abord assurés de son "soutien", quelques jours après la diffusion des images dans plusieurs médias. Peu après, au 20 heures de France 2, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, annonce qu'il demandera la "révocation de ces policiers qui ont sali l'uniforme de la République", une fois que les faits seront établis par la justice. Mais visiblement, ce n'est pas l'avis d'un lieutenant du commissariat, qui s'empare de son téléphone quelques minutes plus tard. Les trois mis en cause recevront le même message : "Sachez que quoi qu'il arrive, pour moi vous n'avez en rien sali notre bel uniforme."