Syndrome de La Havane : les armes à micro-ondes, un coupable tout désigné
L'affaire du syndrome de La Havane a commencé en 2016 par plusieurs collaborateur de l'ambassade américaine à Cuba qui se sont plaints de symptômes neurologiques.
Pour les uns, elles n’existent pas, mais pour d’autres, de plus en plus nombreux, les armes à micro-ondes sont à l’origine du syndrome de La Havane qui laisse perplexe les États-Unis depuis plus de quatre ans. Interrogé par The Guardian, un expert associé à l’enquête a affirmé, mercredi, que Washington est désormais convaincu que plusieurs États ont développé de telles armes.
Ce sont des armes capables d’infliger, à distance, des dommages aux tissus du cerveau grâce à des ondes électromagnétiques. Et les États-Unis sont désormais convaincus que plusieurs pays, "ces dernières années", en ont mis au point. C'est ce qu’a affirmé James Giordano, un neurologue et biochimiste du centre médical de l’université de Georgetown collaborant depuis 2016 à l’enquête américaine sur l’origine du célèbre syndrome de la Havane, interrogé par le quotidien britannique The Guardian, mercredi 2 juin.
Une affirmation qui renforce l’une des principales thèses avancées pour expliquer les symptômes dont avaient souffert, en premier lieu, des collaborateurs de l’ambassade américaine à Cuba voici quatre ans.
Plus de 130 potentielles "victimes"
Depuis, plus de 130 membres de l’administration américaine - diplomates, agents de la CIA, collaborateurs de la Maison Blanche - se sont plaints de maux similaires : nausées, étourdissement, désorientation, vertiges ou encore fortes migraines. Des cas qui, outre à La Havane, ont été observésen Chine, au Kirghizistan, en Colombie, en Autriche, à Moscou, à Londres et même à Washington.
Les autorités américaines n’ont jamais officiellement tranché entre les différentes explications avancées : des nouvelles armes à micro-ondes, des épisodes d’hystérie collective, une exposition à des substances toxiques ou encore des maladies infectieuses. L’Académie américaine des sciencesa cependant conclu en décembre 2020 que l’hypothèse des armes à micro-ondes semblait la plus crédible, sans pour autant se prononcer sur la réalité de telles armes.
De quoi donner du grain à moudre aux détracteurs de cette thèse qui indiquent "que rien ne prouve que ces armes existent", souligne Cheryl Rofer, une ancienne chimiste qui a travaillé au laboratoire d’études nucléaires de Los Alamos, dans un article publié par le magazine Foreign Policy début mai 2021.
Si vraiment Washington a pu déterminer que certaines nations disposent d’un tel arsenal, comme l’affirme James Giordano, cela change la donne.
Les États-Unis et d’autres pays occidentaux ont en effet abandonné, officiellement, les recherches qu’ils avaient entrepris sur les armes à ondes électromagnétiques à la fin des années 1980. Ces recherches participaient alors d'une "mode parmi les industriels de l’armement qui ont proposé, après la chute du mur de Berlin, des armes présentées comme non létales", rappelle Alexandre Vautravers, expert en sécurité et en armement et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse (RMS), contacté par France 24.
Une arme pour des pays peu scrupuleux ?
Les ondes ne tuant pas comme les balles et certains fabricants ont assuré pouvoir créer des armes à micro-ondes capables de causer des maux de tête, des nausées et d’autres effets similaires à ceux observés chez les victimes du syndrome de La Havane. Mais "la plupart de ces projets n’ont rien donné et, pire, on s’est aperçu à la fin des années 1990 qu’il était faux de dire que ces armes ne pouvaient pas être létales", souligne l’expert suisse.
Difficile de savoir à l’avance l’effet qu’un bombardement d’ondes peut avoir chez une personne, en sachant que le corps de chaque individu peut réagir différemment en fonction des prédispositions. Il y a trop d’incertitudes, ce qui fait que les recherches dans ce domaine ont été jugées éthiquement et légalement trop douteuses.
D’autres pays n’ont peut-être pas eu les mêmes scrupules. C’est ce que suggère James Giordano en affirmant au Guardian que les États-Unis "ont acquis la certitude que certaines recherches dans ce domaine, menées à l’époque de l’Union soviétique, ont été poursuivies par la Russie et ses pays satellites". Il ajoute que la Chine est également montée à bord du train des armes à micro-ondes.
Moscou s’est toujours défendu d’avoir quoi que ce soit à voir avec le syndrome de La Havane, mais en termes de savoir-faire, les Russes "ont toujours été forts dans le domaine des ondes électromagnétique", reconnaît Olivier Dujardin, chercheur associé au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) et expert de la guerre électronique, contacté par France 24.
Le fonctionnement d’une telle arme à énergie dirigée - c’est la dénomination officielle - est assez simple en théorie. Un dispositif émet des ondes par impulsions très rapides sur une fréquence précise dans une direction donnée grâce à une antenne. Il ne faut pas que ce soit un flux continu, car sinon ces ondes brûleraient la peau, ce qui n’est pas l’effet recherché.
Elles s’infiltrent ensuite dans le corps pour endommager les tissus du système nerveux. "Les effets néfastes sur l’organisme sont connus, et ce n’est pas un hasard s’il y a des panneaux demandant de garder une distance de sécurité à l’extérieur des radars militaires", note Alexandre Vautravers.
Des armes difficiles à réaliser mais intraçables
Mais en pratique, ce n’est pas un type d’arme facile à mettre au point. Il faut d’abord savoir sur quelle fréquence émettre ces ondes pour qu’elles puissent se déplacer sur une certaine distance et traverser les obstacles. Pour Olivier Dujardin, ce ne peut être au-dessus de 40 Ghz car "au-delà, elle se propage très mal dans l'atmosphère". Il estime que cela doit même être inférieur à 6 Ghz, car sinon "le taux de pénétration dans la matière est trop faible". Autrement dit, elles risqueraient de ne pas passer à travers les murs de l’ambassade américaine de La Havane, par exemple.
On serait donc dans la même cours que les fours à micro-ondes, le Wifi et le Wimax ainsi que les ondes émises par les téléphones portables. "Ce sont des gammes de fréquences dans lesquelles on est baigné en permanence mais à des puissances trop faibles pour être dangereuses pour l’organisme", explique Olivier Dujardin.
Aussi, pour transformer ces ondes en armes, il faut en augmenter la puissance grâce à des générateurs. Un obstacle potentiellement de taille, car "on peut vite tomber sur des composants très chers et difficiles à trouver", estime le chercheur associé au CF2R.
Le dispositif final, entre le générateur et l’antenne, peut se révéler très encombrant pour des opérations censées être discrètes. "Toute la difficulté est de le rendre compact et portable", confirme Olivier Dujardin. "Si un adversaire des États-Unis y est parvenu, cela rendrait d’autant plus crédible cette théorie des armes à énergie dirigée", confirme le Guardian.
Mais trouver des preuves concrètes risque d’être difficile. Car ce sont des armes qui "ne laissent aucune trace, et sont parfaitement anonymes", résume le spécialiste de la guerre électronique. A l’inverse des pistolets ou des fusils, elles n’offrent pas la possibilité de se servir des éventuelles douilles de balles oubliées sur les lieux des méfaits pour remonter jusqu’aux auteurs de l’attaque.
La seule manière serait de le prendre en flagrant délit. Et pour ce faire, Olivier Dujardin ne voit qu’une possibilité : installer près de tous les endroits susceptibles d’être attaqués des capteurs qui peuvent enregistrer "tout le spectre des fréquences à la recherche d’éventuelles anomalies". De quoi donner des maux de tête pas seulement aux victimes du syndrome de La Havane, mais aussi à ceux qui continuent à en chercher l’origine.