Sept choses à savoir sur la star de Twitter Philousports, "Zidane du gif" mort samedi
Il était devenu une figure de Twitter en France, avec ses quelque 275 000 abonnés, sa bienveillance inépuisable et son humour taquin mais jamais féroce. Philousports, alias Philippe Vignolo, mort samedi en Corse à 49 ans, est inhumé mardi 22 juin. Devant l'émotion populaire, un livre d'or numérique a été mis en ligne par son agence de communication, et plus de 900 personnes avaient déboursé lundi soir quelque 11 000 euros via une cagnotte pour fleurir sa tombe à l'issue de la cérémonie. Franceinfo vous présente l'homme derrière les messages drôlatiques de 280 caractères.
Il était arrivé sur Twitter en 2011
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas après une glissade de Clément Poitrenaud devant sa ligne d'embut ou une conférence de presse de Raymond Domenech farcie de répliques bien senties que Philousports avait débarqué sur Twitter. Derrière le fan de sport bien connu des internautes se dissimulait un accro aux jeux vidéo, son autre grande passion. Et en ce jour d'avril 2011, le réseau PlayStation était en rade, la faute à des pirates qui venaient de rafler 77 millions de comptes, comme l'expliquait alors Le Figaro. Philippe s'était inscrit sur le réseau social pour en savoir plus. C'est peu dire que cette première expérience n'avait pas été concluante, comme il l'avait raconté à Ouest-France : "J'ouvre la page et je me dis : 'C'est quoi ce bordel ?'" Environ 95 000 messages plus tard, en l'espace d'une décennie, "Philou" avait finalement bien apprivoisé le réseau social.
On le surnommait le "Zidane du gif"
Comme l'ancien numéro 10 des Bleus, Philousports travaillait tout en technique. Une télévision de 163 cm de long pour avoir une vision globale de l'actualité sportive. Une frappe qui finit dans les tribunes, un short qui laisse apparaître une paire de fesses, un supporter qui s'endort, un entraîneur qui se gratte là où il ne devrait pas, un président qui fait la moue : rien ne lui échappait. Repérer, isoler, publier. Il réalisait en moyenne une centaine de gifs par jour. "Je guette le petit lapsus, la petite punchline. J'ai ainsi des émotions par procuration. A cause de mon handicap, je ne peux pas les vivre. Je les vis à travers ce que je vois", confiait-il en 2016 à Libération (article pour les abonnés). L'image d'Anelka faisant sa quenelle l'avait fait connaître : "Je l'ai capturée en direct, et ça a tourné tout de suite."
Pour ne rien rater, il payait 130 euros par mois d'abonnements et pouvait passer dix heures par jour devant un écran, calculait-il dans L'Equipe. Début 2018, patatras ! Son compte avait été suspendu par Twitter, en raison d'une image utilisée sans autorisation. Face à la puissance du hashtag #LibérezPhilou, le compte de l'intéressé avait été finalement réactivé quelques heures plus tard.
Derrière Philousports, la difficile enfance de Philippe Vignolo
Le quartier populaire de la Rose Sauvagine, à Marseille. C'est là que Philippe était venu au monde en 1971, un mois avant le terme, avec une maladie paralysante, une myélopathie, une pathologie génétique qui avait abîmé la gaine de sa moelle épinière. Dans un fauteuil dès ses 9 ans, il était relié par trachéotomie à un appareil de respiration artificielle. Son enfance avait été marquée par les violences de sa mère alcoolique et par la disparition prématurée de son père. "Je n'ai aucun souvenir de mes deux parents ensemble, pas la moindre photo où ils seraient enlacés. Je ne sais même pas si ces moments ont eu lieu", décrivait-il dans son autobiographie parue en 2019. A sa mère, il n'avait "jamais parlé de [s]a notoriété. Je ne sais pas si elle sait. Je m'en fous complètement". Pas admis en seconde générale, il avait fait un bac pro comptable. "Quand t'es handicapé, que tu veux faire des études, c'est BEP ou CAP. C'est simple, on m'a dit : 'Bon Philippe, ce sera le lycée professionnel. Et tu feras comptable.' Pas de choix, rien…" Il avait fait un stage à la mairie d'Aubagne… avant de tout laisser tomber. "Je ne pouvais pas. C'était terrible (...) c'est pas pour moi de mettre des tampons sur des papiers."
Sa chambre comme terrain du jeu
Tout ce qui faisait vibrer Philousports se retrouvait sur les murs de sa chambre d'une quinzaine de mètres carrés : des maillots signés par les plus prestigieux joueurs de foot, de handball, et de rugby, des ballons, les crampons de l'ancien attaquant belge de l'Olympique de Marseille Michy Batshuayi, devenu sa coqueluche, avec son caleçon Bob L'éponge repéré par l'œil acéré du twitto un soir de match. Sous cadre, des répliques cultes, du laïus du scribe Otis, joué par Edouard Baer dans Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, à la transcription du commentaire de Grégoire Margotton conclu par "Second poteau Pavaaaaaaaaaaaaard" lors du France-Argentine du Mondial 2018. De l'autre côté, transparaissait le fan de jeux vidéo, avec l'épée de Zelda, le marteau de Thor, et un poster de Hulk.
Un formidable élan de solidarité pour son fauteuil
En 2016, Philousports, déjà 50 000 abonnés au compteur, s'était rendu à l'évidence : il avait besoin d'un fauteuil électrique et non plus mécanique pour l'aider dans sa vie de tous les jours. "J'ai 15 ans dans la tête, mais 44 dans le corps", expliquait-il à franceinfo à l'époque. Son amie journaliste Lawrence Leenhardt avait lancé l'idée d'une cagnotte participative. "Je lui ai dit de ne pas s'inquiéter et que, si ça se trouve, il n'aurait que 30 euros pour s'acheter un klaxon", avait raconté la journaliste. Tout faux. En moins de 24 heures, notamment grâce à l'aide de plusieurs comptes de célébrités ou de celui de l'équipe de France de football, 15 000 euros avaient été récoltés. "Je reçois en pleine gueule un tsunami d'amour, j'étais pas prêt", avait tweeté "Philou". "Je suis touché par l'amour des messages reçus, c'est une grosse claque pour moi, Twitter n'est pas un repaire de 'haters' [internautes attirés par la haine et le dénigrement], contrairement à ce que certains disent", avait-il affirmé.
Le "loleur" devenu influenceur
Puis la blague était devenue de plus en plus sérieuse. Plusieurs marques avaient toqué à la porte de sa chambre. En 2018, la Ligue nationale de rugby lui avait donné les clés de ses réseaux sociaux. L'Olympique de Marseille, son club de cœur, lui avait proposé la même chose par la suite.
"Philou" avait fini par prendre une agente (Julie), s'était engagé avec PMU, Boulanger… Mais monsieur avait ses règles, comme il l'avait souligné fin 2020 auprès de Ouest-France : "Je peux vendre leurs produits. Mais en étant honnête. Je travaille avec PMU, je vais pas tweeter : 'Les paris sportifs, c'est super, tu gagnes ta vie !' C'est pas moi ça. Il ne faut pas que ça mette en danger le quotidien et le salaire des gens. Je ne survends pas. Je suis honnête."
Ces partenariats lui permettaient de "vivre très bien", "suffisamment pour [s]e payer les abonnements aux chaînes de sport". "J'étais programmé pour gagner 950 euros par mois avec les aides [allouées aux personnes handicapées]."
En février, pour booster la campagne de vaccination contre le Covid-19, le ministère des Sports l'avait suivi avec une caméra lors de sa deuxième injection.
Pour l'anecdote, Emmanuel Macron lui-même voulait le rencontrer. "Le jour où il a fait la conférence sur les nouvelles lois handicap, j'ai reçu, avec le liseré républicain, un message : 'Monsieur Macron voudrait bien vous convier à une conférence.' Je n'y suis pas allé, avait-il révélé à Ouest-France. Je savais très bien que ma venue allait être instrumentalisée. D'ailleurs, j'ai vu, à la fin de la conférence, qu'ils ont mis deux handicapés sur l'estrade pour faire la photo… Et voilà. Après, je n'ai rien contre Macron, mais je ne veux pas servir à des fins politiques."
Un homme avec le cœur sur la main
Malgré son succès, Philousports était loin d'avoir pris la grosse tête. Pas une remarque sur un début de melonite, bien au contraire. Tout le monde l'a toujours décrit comme un homme avec le cœur sur la main. A l'image du journaliste Antoine Maes, qui a collaboré avec le "Zidane du gif" pour le site de 20 minutes. Philousports y avait notamment commenté le Mondial 2014. Bénévolement. "La seule façon qu'on avait eue de le remercier, cela avait été de lui ramener de notre séjour au Brésil pour le Mondial un maillot de Santos [un club brésilien] et une petite boîte de chocolats, se souvient Antoine Maes, interrogé par L'Equipe. Et lui, qu'est-ce qu'il avait fait ? Il nous avait remerciés qu'on le remercie en nous renvoyant une boîte de Figolu... Il n'y en a pas beaucoup des comme ça !"
Depuis samedi, beaucoup de ceux qui lui rendent hommage y vont eux aussi de leur petite anecdote. Vanessa Le Moigne, journaliste à beIN Sports, a évoqué les innombrables échanges avec celui qu'elle décrit "comme un grand frère". "Il disait qu'on lui donnait de la force. C'est lui qui [en] donnait", souligne-t-elle. Car Philousports était toujours là pour tout le monde.