REPORTAGE. "Quand on a un uniforme, on ne s'autorise pas à aller mal" : la gendarmerie organise des ateliers de gestion du stress pour ses effectifs
"Quand on a un uniforme, on ne s'autorise pas à aller mal" : la gendarmerie organise des ateliers de gestion du stress pour ses effectifs
Comment gérer son stress et ses émotions quand on côtoie la mort et la détresse au quotidien ? Pour la première fois, le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale organise trois jours de cours et d'ateliers afin d'éviter les traumatismes et leurs conséquences sur le long terme.
Une cinquantaine de gendarmes sont assis, les yeux fermés, lundi 20 juin dans l'après-midi, au pôle judiciaire de la gendarmerie à Pontoise (Val d'Oise), guidés par la voix du Dr Corinne Isnard Bagnis : "Imaginez une lampe de poche. Comme si le faisceau de la lampe allait se promener dans différentes parties de votre corps. Il y a juste à observer si vous ressentez quelque chose ou non". Après vingt minutes de méditation, une militaire évoque cette "douleur au genou" qui a surgi pendant la séance, un autre "le mental, des pensées" qui revenaient sans cesse.
Parmi ces militaires du pôle judiciaire, les profils sont variés mais tous sont confrontés à des images et des situations traumatiques de façon répétée : certains font des prélèvements sur les corps, d'autres identifient les dépouilles, d'autres encore visionnent des centaines d'heures de vidéos pédocriminelles. Pendant trois jours 145 gendarmes assistent donc à des ateliers pour apprendre à mieux gérer leur stress, et à anticiper les conséquences des traumatismes qu'ils peuvent engranger au cours de leur carrière.
"Savoir dire quand on va mal"
Tout cela grâce à des outils comme la méditation, la sophrologie ou la gestion des émotions. Des clés utiles quand on part en mission selon le colonel Thibault Fritz, à la tête de la section d'identification humaine. Avec ses équipes, il a passé très récemment plusieurs semaines en Ukraine, notamment dans le charnier de la ville de Boutcha. "On part vers l'inconnu, il peut y avoir des évènements de stress aigu mais aussi il y a la durée à gérer et la récupération. Donc c'est un ensemble et c'est pour ça que la boite à outils de différentes notions sur la gestion du stress, en amont, pendant et après, est particulièrement utile pour celui qui veut être et durer", analyse le Colonel Fritz.
"L'autre enjeu, c'est de savoir dire quand l'on va mal", renchérit Adrien Jimenez. Cet ancien infirmier auprès des forces spéciales travaille désormais au sein de l'institut de recherche biomédical des armées. "C'est un lieu qui reste masculin et quand on a un uniforme on ne s'autorise pas à ne pas aller bien. Donc ce sont ces deux enjeux : accepter que c'est là, que je ne vais pas bien et pouvoir être capable de le partager mais ce n'est pas simple encore. Heureusement on en parle de plus en plus."
Mais si ce dialogue peut être évident dans les cas les plus extrêmes, les charniers, les catastrophes, les attentats, il est souvent beaucoup plus compliqué de faire face quand une situation traumatique arrive par surprise.
Le pôle judiciaire de la gendarmerie à Pontoise accueille ce premier séminaire sur la gestion du stress. (MARGAUX STIVE / RADIO FRANCE)
Et c'est souvent le cas constate le général Patrick Touron à la tête du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale. "De par l'expérience que j'en ai, c'est toujours sur des évènements inattendus. J'ai le souvenir d'un gendarme avec qui j'intervenais sur un incendie. Il y avait le corps d'un enfant brûlé avec un tee-shirt qui ressemblait au tee-shirt de l'un de ses enfants, raconte le général Touron. Et ça l'a tellement marqué qu'il n'a pas pu accomplir sa mission et qu'il a décidé ensuite de se réorienter dans sa carrière. Ce n'est pas parce que c'était particulièrement horrible ou traumatisant a priori, mais c'est parce que se rapportait une histoire personnelle, et ça on ne le voit pas venir. Et c'est parce qu'on ne le voit pas venir qu'on ne peut pas lutter efficacement", ajoute-t-il.
Cette semaine, 145 gendarmes ont pu assister au séminaire, avec l'objectif de faire participer à terme les 600 effectifs du pôle judiciaire et de le proposer au-delà, à tous les militaires de la gendarmerie nationale.