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Refus d'obtempérer : pourquoi les tirs mortels de la police ont augmenté en France

Adolescent tué à Nanterre La mort du jeune Nahel, tué par la police à Nanterre, s'inscrit dans une longue liste de conducteurs décédés après un refus d'obtempérer, et rappelle que les tirs mortels dans le cadre de contrôles routiers ont fortement augmenté ces dernières années. Explications. Des policiers font signe à un automobiliste de s'arrêter à Lyon dans le cadre d'un contrôle routier, en janvier 2017. La mort de l'automobiliste de 17 ans tué par balle mardi 27 juin à Nanterre a relancé en France le débat politique et sécuritaire sur l'usage des armes à feu par la police dans le cadre d'un refus d'obtempérer. Les faits divers liés à ces tirs mortels ont régulièrement fait la "une" de l’actualité l'an dernier – comme en avril, lorsque deux hommes ont été abattus sur le Pont-Neuf à Paris, ou encore en juin avec la mort d'une jeune passagère touchée à la tête après le refus d'obtempérer du conducteur dans le 18e arrondissement. En 2022, 13 personnes ont été tuées par la police lors de contrôles routiers. C'est six fois plus que l’année précédente, et un record. Une inflation mortelle qui s'explique par le nombre croissant de refus d'obtempérer conduisant les policiers à faire feu plus souvent pour protéger leur vie et celle d'autrui, assurent les syndicats de police. "Si on fait le rapport entre le nombre de refus d'obtempérer qui n'a cessé d'augmenter et le nombre de tirs, on est dans des proportions qui n'ont pas tellement évolué", estime Thierry Clair, le secrétaire général du syndicat UNSA Police qui rappelle qu'en France, "un refus d'obtempérer a lieu toutes les 20 minutes". Des refus d'obtempérer en forte hausse Les refus d'obtempérer ont en effet fortement augmenté depuis l'introduction du permis à point au début des années 1990. Une mesure qui incite certains conducteurs à fuir plutôt que de perdre leur précieux papier rose, et l'emploi qui va avec. Ainsi, en 1993, un an après la mise en place du permis à points, le nombre de refus d'obtempérer s'élevait à 1 099. Trente ans plus tard, ce chiffre a été multiplié par 25. "Sous l'appellation 'refus d'obtempérer', il y a des situations diverses et variés", détaille Thierry Clair. "Cela peut être dans le cadre d'un contrôle routier classique, lors de la constatation d'une infraction ou encore lors d'un rodéo urbain avec un conducteur qui fait tout et n'importe quoi" pour échapper à la police.   Le défaut d'assurance peut aussi pousser des conducteurs précaires à refuser de se soumettre à un contrôle. Selon le Fonds de garantie des victimes (FGAO), près de 30 000 personnes ont été victimes en 2019 d'un accident de la route causé par un conducteur non assuré. À cela s'ajoute une autre variable, celle de la hausse globale du nombre de contrôles dans le cadre de la lutte antidrogue. Les dépistages de stupéfiants ont été multipliés par 10 entre 2010 et 2021 – de 67 000 à plus de 630 000, selon les données de la sécurité routière. 2017, année charnière Si la hausse continue et régulière du nombre de refus d'obtempérer est mise en avant par les syndicats de police et les autorités, elle ne suffit pas à tout expliquer, en particulier la hausse brutale du nombre de tirs policiers sur des véhicules observée en 2017. Une étude statistique citée par le journal Libération fait en effet apparaître une hausse du nombre de tirs policiers cette année-là, de 137 à 202. Un chiffre redescendu depuis autour de 150 mais qui reste supérieur à la moyenne observée avant cette date. Des tirs plus nombreux mais aussi plus mortels, selon les chercheurs. "Des phénomènes de ce type n'ont jamais de facteurs uniques mais il y a clairement un changement statistique entre 2016 et 2017", analyse Mathieu Zagrodzki, chercheur associé Centre d'études sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), auteur de "Que fait la police ? Le rôle du policier dans la société" (éd. de l’Aube). Interrogé sur l'antenne de France 24, l'expert établit un lien entre l'usage accrue des armes à feu par les policiers et l'entrée en vigueur, en 2017, de la loi relative à la sécurité publique qui modifie les règles d'usage de leur arme de service. Un texte alors perçu comme une concession faite aux syndicats après le guet-apens dont ont été victimes quatre agents à Viry-Châtillon (Essonne) quelques mois plus tôt. Avant cette loi, le policier était soumis, comme tout citoyen, au régime de la légitime défense et ne pouvait riposter que de façon "simultanée et proportionnée" à une attaque "actuelle et réelle". Depuis, l'article 435-1 alinéa 4 du code de la sécurité intérieure lui permet de tirer sur les occupants d'un véhicule, soit parce qu'il dispose d'informations sur leur dangerosité avant de tirer, soit parce que des personnes se trouvent dans la direction de fuite du véhicule. Manque de lisibilité "La légitime défense reste le principe de base fondamental mais cette loi autorise également l'usage de l'arme à feu quand un automobiliste est susceptible de mettre en danger l'intégrité physique ou la vie d'autrui", explique Mathieu Zagrodzki. Pour les contempteurs du texte, la loi du 28 février 2017 entretient la confusion dans l'esprit des policiers. Car tout en élargissant l'usage de l'arme de service, elle maintient les deux piliers de "l'absolue nécessité" et de la "stricte proportionnalité" de la légitime défense. Dans un avis rendu à l'époque, Jacques Toubon, le Défenseur des droits, soulignait le manque de lisibilité d'un texte qui "complexifie le régime juridique de l'usage des armes en donnant le sentiment d'une plus grande liberté aux forces de l'ordre, au risque d'augmenter leur utilisation". Dans l'affaire de Nanterre, "la position de légitime défense est très contestable : les policiers sont sur le côté et le véhicule ne va pas du tout dans leur direction", juge Mathieu Zagrodzki. "Les images choquantes" diffusées sur les réseaux sociaux "montrent une intervention qui n'est manifestement pas conforme aux règles d'engagement de nos forces de l'ordre", a déclaré la Première ministre Élisabeth Borne, lors des questions au gouvernement, au Sénat.  Une enquête de l'IGPN a été ouverte pour homicide volontaire par le parquet de Nanterre contre le policier de 38 ans soupçonné d'être l'auteur du tir mortel.

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