Rafle des enfants d'Izieu : le miraculé Samuel Pintel ne "peut pas laisser tomber" ses camarades
80E ANNIVERSAIRE
À quelques semaines près, Samuel Pintel a miraculeusement échappé, le 6 avril 1944, à la rafle de la maison d'Izieu au cours de laquelle 44 enfants juifs ont été arrêtés, avant d'être déportés puis exécutés. Il avait alors six ans. En grandissant, il s'est fait la promesse de ne jamais oublier ses camarades et de faire vivre leur mémoire. Portrait.
"J’ai connu ces enfants. Eux ont été déportés et ont disparu. Moi, je suis là et je parle d’eux". Depuis 80 ans, Samuel Pintel n’a jamais cessé de penser à ses camarades. Il ne se passe pas un jour sans qu’il ne se demande pourquoi, lui, a eu la chance de survivre. Le 6 avril 1944, il n’est pas présent à Izieu, dans l’Ain, lorsqu’un détachement de la Wehrmacht et un groupe de la gestapo de Lyon font irruption dans une maison du village transformée en refuge pour de jeunes juifs persécutés. Ce jour-là, 44 enfants sont arrêtés, ainsi que sept adultes qui les encadrent. Tous trouveront la mort en déportation, à l’exception d’une jeune femme.
"Je lui dois l’air que je respire"
Comme il le raconte dans son autobiographie "L’enfant d’Izieu" (Éditions Harper Collins), Samuel Pintel, né en 1937 à Paris dans une famille de juifs polonais, a eu la vie sauve car il a quitté la colonie quelques semaines avant le drame. Pendant plusieurs décennies, cet homme a ignoré où il avait été placé de novembre 1943 à janvier 1944. Il ne l’a découvert qu’en 1987 devant sa télévision lors du procès de Klaus Barbie, le chef de la gestapo de Lyon (la police politique allemande) et ordonnateur de la rafle. "J’ai suivi les comptes-rendus d’audience et j’ai reconnu les lieux. Je me suis rendu compte, près de 45 ans plus tard, que le lieu où je me trouvais à l’époque était la maison d’Izieu", explique-t-il.
Samuel Pintel se rend alors sur place. Son intuition est la bonne. Même s’il n’avait que six ans à l’époque, il n’a aucun doute. Il a bien passé quelques mois dans cette maison pendant la guerre. "Je n’en ai pas gardé un bon souvenir", avoue-t-il après toutes ces années. "C’était stressant. Ce qui me tourmentait le plus, c’était de ne pas savoir où se trouvait ma mère. Qu’est-ce qu’elle était devenue ? J’étais perdu. Je me disais qu’elle n’allait jamais pouvoir me retrouver", se rappelle l’ancien enfant caché.
Le 16 novembre 1943, Samuel Pintel avait en effet déjà échappé au pire. Réfugié dans un centre d’entraide pour juifs avec sa mère Tauba à Chambéry, alors que son père Jacob est prisonnier en Allemagne, il voit avec horreur débarquer les soldats ennemis. Désespérée, sa mère décide de se séparer de lui. "Ne viens pas avec moi, je ne suis plus ta mère, va avec cette femme", lui ordonne-t-elle à voix basse. Le jeune garçon obéit et suit la seule non juive hébergée dans ce centre : "Le hasard a voulu qu’elle soit à mes côtés pendant le contrôle d’identité et qu’elle ait accepté de me prendre la main. Grâce à elle, je n’ai pas été déporté avec ma mère. Je lui dois l’air que je respire".
La maison d’Izieu, un havre de paix
Cette femme providentielle, dont il ignore encore aujourd’hui le nom, le confie ensuite à l’Union générale des israélites de France (Ugif). Quelques jours plus tard, Miron Zlatin, le directeur de la maison d’Izieu, vient le récupérer à vélo. Pendant plusieurs semaines, Samuel Pintel, désormais sans nouvelles de sa mère, vit au rythme de la colonie. Trop jeune pour comprendre, il pense alors être le seul juif présent dans ce lieu. Le petit Parisien ne sait pas que des dizaines d’autres enfants, persécutés comme lui en raison de leur religion, ont trouvé refuge dans cette grande maison dirigée par Miron et son épouse Sabine Zlatin. Ils bénéficient alors de la protection du sous-préfet local Pierre-Marcel Wiltzer. Jusqu’en janvier 1944, 105 enfants ont ainsi séjourné à Izieu.
Samuel Pintel quitte la maison à cette période lorsque ses anciens voisins de paliers à Paris, Jeanne et Alexis Bosselut, viennent le récupérer pour le ramener dans la capitale. Dans le même temps, la menace se rapproche. Après la mutation du sous-préfet, le couple Zlatin se voit privé de son principal soutien. Mis au courant de la présence de ces enfants juifs à la suite d’une dénonciation, Klaus Barbie ordonne de les arrêter. Ce funeste 6 avril 1944, Sabine Zlatin n’est pas présente. En mission à Montpellier pour trouver de nouveaux points de refuge pour ces pensionnaires, elle est l’une des rares rescapés de la rafle, contrairement à son époux Miron.
Témoin clé du procès Barbie, Samuel Pintel a retrouvé Sabine Zlatin à la fin des années 80. "Elle m’a montré une lettre dans laquelle figurait mon nom, ainsi que les listes de présence. Je me suis alors aperçu que les 44 enfants étaient tous présents quand j’y étais et que j’étais le dernier à avoir quitté la colonie", explique-t-il. "Cela a été l’élément déclencheur. Je me suis dit que je ne pouvais pas les laisser tomber".
Transmettre la mémoire des enfants d’Izieu
Jusqu’à la Libération, il a été caché par ses voisins, les Bosselut, qu’il a fait reconnaitre comme Juste parmi les Nations. Il a aussi eu le bonheur de voir revenir son père de captivité et sa mère, du camp de Bergen-Belsen où elle avait été déportée. Mais cette joie a vite laissé place au deuil. Affaiblie par les mauvais traitements, Tauba décède en 1951, quelques semaines après avoir mis au monde une petite fille.
Malgré une enfance déchirée, Samuel Pintel a su se construire une vie. Il a réussi une brillante carrière d’ingénieur, notamment dans le domaine de l’aérospatial. En plus de son activité professionnelle, il s’est lancé à corps perdu, aux côtés de Sabine Zlatin, dans un travail de mémoire pour faire connaître l’histoire des enfants d’Izieu. Ces efforts ont été récompensés par l’inauguration, en 1994, du musée-mémorial d’Izieu par le président François Mitterrand. "Cette maison est devenue un emblème. Elle a un caractère universel", souligne Samuel Pintel.
Depuis des années, l’ancien enfant caché rencontre inlassablement des scolaires pour raconter le sort de ses petits camarades : "Je leur dis que ces gamins n’avaient rien fait. Ils ont été arrêtés, déportés et exterminés simplement parce qu’ils étaient juifs. Je ne demande pas aux jeunes d’aujourd’hui de m’aider à porter mon fardeau mémoriel, mais je les incite à méditer là-dessus et à devenir des citoyens à part entière".