Procès des attentats du 13-Novembre : "On espère montrer au grand public ce que signifie être victime du terrorisme"
Procès des attentats du 13-Novembre : "On espère montrer au grand public ce que signifie être victime du terrorisme"
Arthur Dénouveaux, rescapé de l'attentat du Bataclan et président de l'association Life for Paris, livre ses attentes à deux mois du procès des auteurs des attaques du 13-Novembre.
Il est fébrile, anxieux et impatient. Arthur Dénouveaux, le président de l'association de victimes Life for Paris, a depuis plusieurs mois déjà la tête dans le procès des attentats du 13-Novembre 2015, qui s'ouvrira le 8 septembre prochain devant la cour d'assises spéciale de Paris, pour une durée de sept mois. Voilà un an que ce survivant de l'attaque survenue au Bataclan prépare les 650 adhérents de l'association à cette échéance. A quelques semaines de ce procès historique, il confie à franceinfo ses attentes.
Franceinfo : Comment vous sentez-vous, à titre personnel, à l'approche de ce procès ?
Arthur Dénouveaux : Je me pose plein de questions. C'est un moment dont je sais qu'il arrive depuis très longtemps et qui va être important, même si c'est encore confus. Je ne sais pas quelle place prendra ce procès dans quelques années, mais je sais qu'il va marquer ma vie d'après. J'ai des appréhensions : celle de passer à côté, de ne pas faire ce qu'il faut, de ne pas pouvoir être assez présent pour les membres de l'association ou, au contraire, d'être trop présent et de mettre ma vie personnelle entre parenthèses. Quand je ne pourrai pas assister physiquement au procès, j'ai prévu d'écouter autant que possible la webradio dédiée aux parties civiles.
Justement, comment pensez-vous organiser votre temps pendant ces sept mois d'audiences ?
Il y a plusieurs moments clés pour moi. En tant que président d'association, c'est important que je sois là au début, pour parler avec les médias, les gens sur place et prendre la température. J'espère entendre un certain nombre de témoignages aussi. Life for Paris n'a fait appeler qu'un seul témoin : François Hollande. Donc bien sûr, je veux être là quand il s'exprimera.
J'ai aussi prévu d'assister à de nombreux témoignages des parties civiles. A cause de l'ampleur du procès, les accompagnants sont limités : il n'est pas prévu que les parties civiles qui témoignent puissent être accompagnées par des proches. Plusieurs d'entre eux m'ont donc demandé d'être avec eux le jour de leur déposition. En parlant avec des gens qui ont vécu le procès des attentats de janvier 2015, certains m'ont dit qu'il y aurait des moments très forts.
On a eu du mal en tant qu'associations à fédérer les blessés physiques lourds, qui ont longtemps été hospitalisés, pour la plupart aux Invalides. A leur sortie, leur reconstruction avait déjà bien commencé et ces personnes ne sont pas beaucoup venues spontanément vers nous. Ce procès sera aussi l'occasion de les rencontrer.
Quelles sont vos attentes et celles des membres de votre association ?
Plusieurs victimes ont déjà témoigné avant d'aller à ce procès, que ce soit devant les journalistes ou dans des livres. A chaque fois, il y avait un parti pris, alors que face à la justice, les témoignages doivent être neutres.
Le reste, je ne compte pas trop dessus. Je ne suis pas certain que l'on va avancer dans la compréhension des motivations des terroristes, des origines de leurs intentions…
Comment se préparent les victimes à ces audiences ? On imagine que le procès risque de raviver de nombreuses blessures…
On a pas mal d'adhérents qui ne veulent pas témoigner parce qu'ils ont peur. C'est effrayant d'aller à la barre, d'autant plus quand c'est pour témoigner contre des terroristes. Pour ceux qui veulent déposer, on s'interroge avec eux : que veulent-ils dire ? Quelque chose d'hyper personnel ? Veulent-ils prendre le risque de répéter ce qui a déjà été dit ? Ou veulent-ils délivrer un message différent ?
Par ailleurs, beaucoup d'avocats mettent la pression sur leurs clients pour savoir s'ils veulent témoigner et leur disent qu'il faut se décider maintenant ou se taire à jamais. C'est lié à un problème d'organisation, mais il ne faut pas que ce procès diminue la flexibilité habituelle. Il y a aussi une injonction à la dignité qui peut être très oppressante : on attend que les victimes tiennent leur place. On leur dit qu'elles ont le droit d'être tristes, mais qu'elles n'ont pas le droit de déborder. Je pense que les victimes doivent pouvoir craquer, être dans l'émotion.
On dit souvent que la douleur est ce qu'il y a de plus impartageable : on espère réussir à la transmettre et faire progresser la vision publique de ce que signifie être victime du terrorisme. Il y a aussi un enjeu d'incarnation : le grand public n'est pas capable de citer le nom d'une seule victime du 13-Novembre. Peut-être qu'avec ce procès, certains noms marqueront les esprits.
Que pensez-vous du traitement juridique des attentats jusqu'ici ?
Je l'ai trouvé très satisfaisant, que ce soit pendant l'instruction ou dans la production de l'ordonnance de mise en accusation : c'est un document de 750 pages qui se lit comme un roman.
J'ai aussi visité trois fois la salle d'audience du palais de justice : on sent bien que tous les moyens ont été mis. Le président et les avocats généraux ont une très bonne réputation. La discussion avec nous a été excellente. Je trouve que l'équilibre se fait très bien entre les parties civiles et la défense : le nom d'Olivia Ronen, l'avocate de Salah Abdeslam, est sorti tard, mais c'est crucial qu'il soit bien défendu. On est reconnaissants qu'une avocate brillante mette sa carrière entre parenthèses pendant des mois et prenne des risques pour permettre d'avoir un procès digne et équitable. Il nous semble que la justice a fait un bel effort pour être au niveau.
Le seul reproche que j'aurais à faire, c'est le cirque médiatique qui a eu lieu lors du procès de Jawad Bendaoud en première instance, mais ça a heureusement été rectifié en appel.