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Présidentielle 2022 : la "mal-inscription" sur les listes électorales, un mal français

Avec plus de 7 millions de "mal-inscrits" en France, dont 43 % des 25-29 ans, la mal-inscription est l’une des causes principales de l’abstention à la présidentielle. La France, où l’inscription sur les listes de sa commune après un déménagement n’est pas automatique, fait figure d’exception européenne. Pour y remédier, la date limite d’inscription pour le scrutin d’avril a été repoussée au 4 mars 2022. Une personne "mal-inscrite" sur les listes électorales aura trois fois plus de chance de devenir abstentionniste. C’est le constat alarmant fait par Céline Braconnier, la directrice de Sciences-Po Saint-Germain alors que le taux d’abstention lors des dernières élections en France a frôlé les 66 % aux régionales de 2021. Cette spécialiste des questions de la participation électorale a inventé le terme de "mal-inscrits" pour qualifier ceux qui ne sont pas inscrits là où ils résident au moment du vote.  En France, l’enregistrement sur les listes après un changement de domicile ne se fait pas automatiquement, contrairement à la plupart des pays européens. Or nombre de Français ne pensent pas à se signaler auprès de leur nouvelle commune après un déménagement. "Plus il y a de mobilité, plus il y a de 'mal-inscription'", explique la chercheuse à France 24. Et justement, quelque trois millions de Français changent de domicile chaque année. Un chiffre qui pourrait nettement augmenter cette année avec les déménagements des télétravailleurs des villes vers les campagnes et les périphéries avec la crise du Covid-19.   "Certains électeurs s’abstiennent aux élections locales et parlementaires mais votent pour la présidentielle", précise Céline Braconnier. En revanche, la chercheuse a constaté que parmi ceux qui ne se rendent jamais aux urnes, y compris au moment du scrutin présidentiel, figurent beaucoup de ces fameux "mal-inscrits". "'La mal-inscription' est une des causes fondamentales de l’abstention à l’élection présidentielle, même si elle n’explique pas tout", relève-t-elle.  Plus de 7 millions de "mal-inscrits"   Auteure de plusieurs ouvrages sur l'abstention, la politologue a commencé à s’intéresser, au tournant des années 2000, au phénomène de "mal-inscription" dans des quartiers populaires, avant de se rendre compte qu’il était tout aussi prégnant dans des centres villes bourgeois. Depuis 2017, l’Insee comptabilise cette "mal-inscription" au niveau national et a pris la mesure du problème. La France découvre alors qu’elle compte 7,6 millions de personnes "mal-inscrites" en plus des 5,2 millions de personnes pas inscrites du tout sur des listes électorales.  Chez les jeunes, la "mal-inscription" atteint des taux records. Elle a affecté 43 % des 25-29 ans en 2017 au moment de la précédente présidentielle. Autre catégorie concernée, les cadres trentenaires avec de jeunes enfants qui quittent les centres villes. Chez les 30-34 ans, 36 % sont "mal-inscrits". "Même quand les électeurs sont diplômés, ils procrastinent et ne se réinscrivent pas", souligne Céline Braconnier.   L’usage de la procuration, qui pourrait être une solution, est très faible en France, rappelle la chercheuse, d’abord parce que la procédure implique de se déplacer au commissariat. "Seule une population surdiplômée et sur-politisée le fait", indique-t-elle.  Une exception française  En Allemagne, en Italie, en Espagne et dans la plupart des pays européens, l’inscription sur les listes électorales se fait automatiquement au moment de la "déclaration domiciliaire obligatoire", qui force un nouvel habitant d'une commune à déclarer son domicile à la mairie. "Avec les États-Unis, nous sommes l’une des seules grandes démocraties au monde à continuer de demander aux citoyens de s’inscrire sur les listes. Le Royaume-Uni, quant à lui, œuvre pour un changement depuis des années".   En France, la question d’un changement de cette procédure a été soulevée par une mission d'information de l'Assemblée nationale. Elle vient de formuler, le 8 décembre, une série de propositions pour faciliter l'acte de voter, dont une proposition pour glisser le bulletin dans l'urne de la commune de son choix. Jusqu'ici, le débat soulevé plusieurs fois au Parlement n'avait rien donné. Céline Braconnier estime que "la puissance publique n’est pas prête". Pour la politologue, l’explication est à chercher du côté de l’histoire française : "Il y a comme un blocage. On considère que cela réactiverait une période sombre de notre histoire durant laquelle l’État suivait les déplacements des individus à la trace."  Allongement du délai d’inscription au 4 mars 2022  Des efforts ont pourtant été faits en 2019, avec la possibilité de s’inscrire en ligne. Mais sans un réel accompagnement, cette dématérialisation reste inadaptée, avance la chercheuse. Autre nouveauté, le délai d’inscription sur les listes a été allongé. Exit la traditionnelle échéance du 31 décembre. Désormais les électeurs peuvent s’enregistrer jusqu’au sixième vendredi précédant le premier tour de l'élection, soit le 4 mars 2022 pour la présidentielle.  Pour la chercheuse, cette mesure constitue une avancée. En revanche, elle regrette que ce nouveau calendrier n’ait pas encore été investi par les pouvoirs publics et les candidats. "On en entend trop peu parler", prévient Céline Braconnier, qui compare la situation aux États-Unis où sont organisées de véritables campagnes d’inscription sur les listes. "Là-bas, des partis ont pris conscience que le vote laissait de côté les milieux populaires. On voit des stars de la pop et du rap se saisir de la question. En France cela n’existe pas, ça reste à inventer."  Le vote par correspondance pour "une démocratie plus inclusive"  Autre différence de taille avec les Américains, ces derniers ont la possibilité d’utiliser le vote par correspondance. Une des solutions fréquemment évoquées en France pour diminuer la "mal-inscription" et l’abstentionnisme. En Allemagne, où cette modalité existe depuis 1957, près d’un quart des votants utilise le bulletin par correspondance et ce chiffre augmente chaque année.   "Il faut absolument simplifier les choses. C’est à ce prix-là que notre démocratie sera plus inclusive". Pour Céline Braconnier, il faut que la France prenne le problème à bras-le-corps si elle ne veut pas exclure une partie de la population française du scrutin électoral. Et de rappeler toutefois que la levée de cet obstacle administratif "ne règlera pas le problème du désenchantement de la politique", autre facteur important de l’abstention.  

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