Passion sans frontières : quand l’équipe de France fait vibrer des supporters indiens
REPORTAGE
Depuis le début du Mondial-2022 au Qatar, un groupe de supporters un peu particulier défraie la chronique : ils sont indiens et soutiennent l’équipe de France. Accusés d’être des faux supporters, les membres du “French Football Fans Club India” portent un amour bien réel au maillot bleu. Rencontre.
Il y a des coups de foudre qui ne s’expliquent pas. Des histoires d’amour qui naissent malgré la distance entre des personnes qui ne semblent pas sur le papier destinés à se rencontrer. La passion pour l’équipe de France ne fait pas exception comme le prouve l’existence du “French Football Fans Club India”, une association indienne de supporters des Bleus qui fait le buzz depuis le début du Mondial. Accusé d’être de faux supporters payés par le Qatar, ils affichent une vraie passion pour le ballon rond, comme leurs sentiments pour les accélérations de Kylian Mbappé ou les buts d’Olivier Giroud.
“Les accusations nous ont rendu tristes. Nous sommes une vraie organisation, qui existe depuis 2013. Nous avons des liens avec les Irréductibles Français [l’association officielle de supporters des Bleus, NLDR]. Je les ai même rencontrés lors du Mondial en Russie”, se défend Thoufeer Kaitha Valappil, le président du groupe.
L’atypique club de supporters est cependant bel et bien adopté par tous. En marge des matches de l’équipe de France, il n’est pas rare de voir quelques supporters français venir prendre des selfies avec ces fans ayant défrayé la chronique. Et d’entonner avec eux quelques chants, “Allez les Bleus !”, “la Marseillaise !”… La prononciation est presque parfaite. “On l’a appris en phonétique”, confie le président, maillot de l’équipe de France spécialement siglé du nom du fan-club.
Sur les réseaux sociaux comme Instagram où ils sont très actifs, ce sont près de 6 000 personnes qui suivent leurs photomontages incessants. Le fan-club revendique 3 000 membres ayant leur carte.. Dont 260 sont venus à Doha pour suivre l’équipe de France. Beaucoup vivent déjà sur place ou dans les pays du Golfe mais certains ont fait le déplcament depuis le Kerala. Cette région du sud-ouest de l’Inde est l’une des rares zones du pays où la popularité du football rivalise avec celle du sport national, le cricket.
“Zidane, le magicien”
Tous donnent la même date de naissance à leur passion : un certain 12 juillet 1998, cette chaude soirée d’été où l’équipe de France a battu 3 à 0 le Brésil pour décrocher sa première étoile. Les images de Zinedine Zidane triomphant, de Laurent Blanc embrassant le crane chauve de Fabien Barthez, s’impriment alors dans les yeux des Français, mais aussi, curieusement, dans ceux des enfants de plusieurs villages au Kerala.
“Je m’en souviens parfaitement, sourit Noufal Moochikoottahil, maillot de la campagne victorieuse de Russie sur le dos et écharpe française en l’air. J’avais 12 ans, il y avait une télé pour suivre le Mondial-1998. C’est mon frère qui m’emmenait. C’est avec lui que j’ai regardé la finale. Il n’était pas pour la France mais contre le Brésil et il a hurlé “ZIDANE !!!” sur son premier but. Depuis, Zidane est resté là, près de mon cœur.”
“Maintenant, j’essaie de regarder tous les matches. Si ce n’est pas diffusé, je les cherche sur Internet. Et quand je les trouve pas, je regarde tous les résumés sur YouTube”, décrit le mordu de ballon rond.
Tout comme ses compagnons, le jeune homme de 36 ans, ingénieur à Doha, est capable de disserter pendant des heures sur l’histoire des Bleus depuis la première étoile : “le merveilleux but en or de Trezeguet lors de l’Euro-2000”, “la démonstration des pied magiques de Zidane contre le Brésil en 2006”, “la frappe de Pavard contre l’Argentine en 2018” “le but de Mbappé en finale en Russie”.
“Cela m’a brisé le coeur”
“Je me souviens très bien de ce dernier. J’étais devant un écran géant installé par le Qatar pour la finale. Depuis ce jour, ma fille est devenue fan de Mbappé. L’amour pour la France s’est transmis à une autre génération,” sourit Noufal. “Quand Mbappé est venu au Qatar [dans le cadre d'une tournée avec le PSG], j'ai réussi à avoir un selfie et un autographe. Je les ai montrés à ma fille et elle en a pleuré”, explique-t-il en faisant défiler les clichés de joueurs sur son portable.
Lui aussi a déjà pleuré pour l’équipe de France. C’était un certain 9 juillet 2006, le jour de la finale de la Coupe du monde en Allemagne :
“J’ai aussi des mauvais souvenirs avec l’équipe de France, comme le carton rouge de Zidane en finale. Cela m'a brisé le cœur. Pourquoi Materazzi a fait ça à Zidane ?”, se souvient-il.
Du Kerala à Doha
Grâce à ce Mondial au Qatar, Noufa et la plupart des membres du fan-club ont enfin pu réaliser leur rêve de voir jouer l’équipe de France. Une première pour tous, sauf le président-fondateur, Thoufeer, qui avait déjà pu se rendre en Russie voir jouer les Bleus. Une banderole où était inscrit “J’ai fait 7 600 km pour voir jouer les héritiers de Zidane” avait d’ailleurs failli lui causer des problèmes auprès des autorités russes, jusqu’à ce que la solidarité entre supporters français le sauve : Hervé Mougin, le président des Irrésistibles français, avait alors intercédé en sa faveur.
Cette année, il espère pouvoir suivre les aventures des Bleus jusqu’au bout, jugeant le déplacement plus simple qu’en Russie :
“Un dixième de la population du Kerala vit au Qatar.Imagine une maison avec une famille de 10 personnes. Eh bien, il y en a forcément une qui vit dans le Golfe. Certes c’est cher mais par rapport aux fans européens, on arrive à s’épargner le coût du logement’, raconte-il.
Ces supporters atypiques se sont fait remarquer à de multiples reprises. D’abord lors d’un défilé organisé sur la corniche, le front de mer de Doha, moitié réel, moitié mis en scène par le Qatar avant le Mondial. Mais surtout, ce sont eux qui ont accueilli les joueurs de l’équipe de France à leur hôtel à leur arrivée : ils étaient là bien avant que les supporters français ne rejoignent Doha. Olivier Giroud, le désormais meilleur buteur de l’histoire de l’équipe de France masculine, avait même ironisé à leur sujet : "Ça fait toujours plaisir de se sentir bien accueilli comme ça. Je ne savais pas que les Indiens supportaient l’équipe de France, c’est un poids étant donné qu’ils sont un milliard”, avait déclaré l’attaquant.
“Cela montre une profonde méconnaissance. Je pense qu'Olivier Giroud ne s’en doutait pas, mais la France a des fans partout dans le monde’, explique son président.
Comme tous les jours de match, il sera bien au rendez-vous avec les siens pour donner de la voix lors de France-Angleterre. Et si possible au-delà…