"Parler aux puristes et aux touristes" : F1, Tour de France… Tout le monde veut sa série Netflix
AU COEUR DU PELOTON
Tennis, rugby, cyclisme… Depuis "Formule 1 : Drive to survive", toutes les disciplines sportives veulent leur série immersive pour conquérir un nouveau public. Et la formule Netflix semble fonctionner avec "Tour de France : au cœur du peloton", sorti début juin sur la plateforme de streaming.
Wout van Aert, maillot jaune sur les épaules, lors de l'étape des pavés de l'édition 2022, sous l'œil des caméras de Netflix.
Tudum. Avant de prendre ses quartiers à Bilbao d'où il s'élancera samedi 30 juin, le Tour de France s'est déjà installé sur le petit écran depuis le début du mois. Diffusée sur Netflix, la série documentaire "Tour de France : Au cœur du peloton", tournée lors de l'édition 2022, raconte sur huit épisodes les petites et grandes histoires de la Grande boucle : les victoires et les déceptions, les chutes et les grandes échappées, les coureurs et les paysages grandioses, la douleur et la ferveur... Tout ce qui fait le sel de la plus grande course de vélo du monde.
"C'était notre pari avec Netflix et ASO [l'organisateur de la course] et France télé [le diffuseur international]. On voulait parler aux puristes et aux touristes en découvrant le vélo sous un autre angle", explique Yann Le Bourbouac'h, l'un des producteurs de la série et grand fan de cyclisme.
Un feuilleton, des personnages et des cliffhangers
Une formule déjà éprouvée dans "Drive to survive", la série sur les coulisses de la Formule 1 qui sert désormais de mètre-étalon aux productions Netflix pour les séries documentaires sur le sport. Comme dans la grande sœur qui délaissait les premières saisons la lutte pour le titre, "Au cœur du peloton" s'intéresse moins à la quête du maillot jaune qu'aux petites histoires qui composent la grande aventure du Tour de France.
"On cherche des personnages", explique le producteur. "Il fallait identifier les bonnes personnes capables de représenter l'éventail de personnages existant dans le vélo".
"La touche Netflix, c'est appliquer des techniques de l'ordre du cinéma et des séries à une narration sportive. On convainc le spectateur de l'absolue nécessité de regarder l'épisode suivant avec la logique du feuilleton et du cliffhanger. C'est choisir les bons clients et c'est aussi l'art du montage et d'être là aux bons moments pour capter les petites phrases et les tranches de vie", analyse Jean-Philippe Danglade, professeur titulaire de marketing à la Kedge Business School et responsable du master de management du sport.
La caméra s'attarde ainsi sur le parcours du sprinteur Fabio Jakobsen, "ressuscité" après une grave chute ; sur Thibaut Pinot, qui évoque la pression d'être Français sur le Tour ; sur l'ancien dopé Jonathan Vaughters et son équipe EF Education Easy-Post. Même des protagonistes connus du vélo, comme le volcanique manager de la Groupama-FDJ Marc Madiot, apparaissent sous un jour nouveau.
"En France, Madiot est connu. Mais on voulait aller au-delà. On connaît sa passion, mais qui sait comment il travaille avec ses coureurs ? Il fallait traduire ça à l'image. On prend nos personnages comme des hommes et on essaie de montrer comment cela se traduit dans la course", raconte Yann Le Bourbouac'h.
Tout le monde veut sa série
Pour permettre aux équipes de Netflix de raconter ces destins et la course de l'intérieur, les organisateurs ont "ouvert les portes en grand", souligne Julien Goupil, directeur médias et partenariats chez Amaury Sport Organisation (ASO).
"C'est un projet de longue haleine, les premiers contacts datent de 2018", dit-il. "C'est nous qui avons fait la démarche avec l'objectif de toucher le public le plus large possible. Pas forcément pour rajeunir l'audience, mais pour l'élargir. Et on est très contents du résultat".
Formule E, moto GP, rugby, tennis, cricket... Aujourd'hui, tous les sports semblent vouloir leur série et bénéficier du même coup de jeune que la Formule 1. "Il y a eu un avant et un après "Drive to survive", pour la Formule 1. La discipline déclinait en termes d'intérêt en raison de multiples facteurs. La série a permis de conquérir un nouveau public. Des gens qui ne s'y intéressaient pas forcément ont ensuite regardé les courses", loue Jean-Philippe Danglade.
Pour le spécialiste du marketing, il est donc logique que les promoteurs et organisateurs viennent chercher Netflix pour promouvoir leur sport : "Ils espèrent augmenter leur public, élargir leur cible et renouveler les générations de spectateurs. Ces disciplines sportives, souvent anciennes, sont en concurrence dans la bataille de l'attention avec les plateformes de streaming, l'e-sport..."
Face à cette concurrence, il estime logique que les organisateurs tentent de s'associer à eux pour profiter de leur savoir-faire et tenter de conquérir leur public souvent jeune et international.
La formule connaît parfois des ratés. Par exemple, celui de "Breakpoint", série sur les coulisses du tennis et de la saison ATP et WTA. La deuxième partie est sortie au mois de juin. De l'avis des critiques comme du public, la série ne retrouve pas la magie de "Drive to survive", entre montage paresseux, rythme inintéressant et manque d'inédit sur les à-côtés.
"La formule est duplicable : cette idée de mieux connaître les athlètes en dehors de leur terrain. On peut l'appliquer à tout et n'importe quoi, à condition de faire les bons choix", juge Jean-Philippe Danglade.
Pour "Au cœur du peloton", seules huit équipes ont accepté de jouer le jeu, sans aucun droit de regard sur le résultat final. Y compris en amont de la course, pour permettre aux caméras de Netflix de suivre les athlètes dans leur préparation ou dans leur vie privée. Et la plupart sont satisfaits du produit final, à l'image de Julien Jurdie, directeur sportif d'AG2R-Citroën, qui a accueilli les caméras :
"Beaucoup de gens qui n'y connaissent rien vont se jeter dessus. Mais c'est très important pour le vélo d'accueillir à bras ouverts ce type de projets et de se développer", s'enthousiasme le Français dans L'Équipe. "J'espère que ça va foutre les poils bien droit sur les bras des gamins qui vont le regarder et se dire : 'Putain, le vélo, c'est chouette, ça fait vibrer, c'est un sport fun'!".
La F1 avait aussi son lot de réfractaires lors de la saison 1 – les mastodontes Mercedes et Ferrari. En cyclisme, l'équipe de Tadej Pogacar, l'UAE Emirates a refusé, mais doit désormais regretter son choix au regard des retombées. De quoi faire changer d'avis les réfractaires, en vue d'une probable saison 2.