On vous résume l'affaire Mila, avant le procès de ses 13 cyberharceleurs
Une nouvelle audience des 13 prévenus jugés pour avoir cyberharcelé et menacé de mort la jeune femme, qui avait tenu des propos polémiques sur l'islam en janvier et novembre 2020, est prévue lundi.
"La peur change de camp", a professé Mila face à la presse à la sortie du tribunal correctionnel de Paris, le 3 juin. "Plus nombreux on sera à l'ouvrir, plus on sera forts, puissants face à la menace et au harcèlement qui ne fera qu'empirer si on reste sans rien faire, si on continue à se soumettre", a-t-elle enchaîné du haut de ses 18 ans. C'est devant la 10e chambre correctionnelle du tribunal de Paris que s'est ouvert, le 3 juin, le procès des 13 hommes et femmes qui ont cyberharcelé, voire menacé de mort, la jeune fille pour avoir proféré de violentes critiques contre l'islam. Une seconde audience destinée à évoquer les faits est prévue lundi 21 et mardi 22 juin. Franceinfo revient sur cette affaire qui a bouleversé la vie de cette jeune fille, qui vit désormais sous protection policière 24 heures sur 24.
Un blasphème et des menaces de mort
Le 18 janvier 2020, Mila, alors âgée de 16 ans, publie une vidéo en live sur Instagram où elle raconte avoir été insultée par un homme alors qu'elle parlait de ses préférences sexuelles. "Ensuite, le sujet a commencé à déraper sur la religion. Donc moi j'ai clairement dit ce que j'en pensais. Parce que la liberté d'expression, tu connais ?", interpelle-t-elle face caméra, avant de terminer par une critique virulente de l'islam. "Votre religion, c'est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir", conclut-elle.
Les images, massivement relayées sur les réseaux sociaux, déchaînent alors un flot de réactions haineuses et de menaces. Dans la foulée de cette vidéo, le compte Instagram de Mila est piraté et ses données personnelles récupérées puis diffusées. La jeune fille reçoit des menaces de mort et de viol. Elle est retirée de son lycée de Villefontaine (Isère) et mise à l'abri. Son avocat, Richard Malka, évoque un "lynchage numérique" qui n'a guère cessé depuis. "Jamais dans l'histoire de ce pays une jeune fille n'a reçu 100 000 messages haineux, avec évidemment une connotation sexiste, homophobe", a-t-il décrit à franceinfo, le jour de l'ouverture du procès.
Dix mois plus tard, le 14 novembre 2020, Mila décide de répondre à ceux qui l'insultent, la menacent et lui promettent la mort dans une vidéo publiée sur TikTok, où elle critique à nouveau l'islam. Elle redevient alors la cible d'appels au meurtre. Parmi les centaines de messages violents et d'insultes reçus, se trouvent ainsi des photomontages "avec la tête de Mila sanguinolente à la place de Samuel Paty", cet enseignant d'histoire-géographie décapité à l'automne 2020, pointe son avocat.
Une vie "bunkerisée" depuis ses 16 ans
Cela fait pratiquement deux ans que Mila, qui vient d'avoir 18 ans, vit cachée. "Elle est recluse, dévoile son avocat Richard Malka. Elle reste confinée aujourd'hui et pour plusieurs années. Elle ne peut pas aller en terrasse." Avant d'ajouter : "C'est la première fois dans l'histoire de ce pays qu'une jeune femme de cet âge-là fait l'objet d'une protection policière 24 heures sur 24. Ça n'existait pas. Vous pouvez imaginer la solitude que cela induit ?"
Au lendemain de la deuxième salve de cyberharcélement contre Mila en novembre 2020, Richard Malka avait comparé la vie de sa cliente à celle des salariés du journal satirique Charlie Hebdo, dont il est aussi l'avocat. "Vous pouvez imaginer comment elle va : sa vie a basculé, elle a 17 ans, elle vit comme les gens de Charlie Hebdo maintenant, bunkerisée... C'est insupportable !", s'était-il indigné selon BFMTV.
Outre une vie sociale bouleversée, la scolarité de Mila s'est quasiment terminée en même temps. Après avoir été contrainte de quitter l'établissement de Villefontaine jusqu'en juin pour des raisons de sécurité et avoir attendu que l'Education nationale lui propose un nouvel établissement, la jeune femme a fait un bref passage dans un lycée militaire tenu secret. Mais en décembre dernier, elle a été nouveau exclue après avoir dévoilé le nom de l'internat dans un live sur Instagram auquel assistaient une vingtaine de personnes. "On a une jeune fille que le système scolaire ne peut plus prendre en charge. On lui dit : 'Rentrez chez vous madame, on ne peut pas assurer votre sécurité, on met un terme à votre scolarité !'", se désole son avocat.
Au moment des faits, Mila ne s'était exprimée qu'une seule fois, à visage découvert, sur le plateau de l'émission "Quotidien", assurant ne "pas regretter" ses propos, le 3 février 2020. De nouveau sous les projecteurs avec l'ouverture du procès de ses cyberharceleurs, la jeune femme a affirmé, sur TF1, dimanche 13 juin, qu'elle se voyait "peut-être morte" dans cinq ans. "Je ne suis pas capable de voir mon avenir comme les autres", a-t-elle déploré, à une semaine de la reprise du procès. Entre-temps, la jeune fille a choisi de prendre la plume pour revenir sur cette affaire. "Quand vous lirez ces lignes... J'ignore si je serai encore vivante. Une nouvelle journée commence. Et avec elle, de nouvelles menaces noient mon téléphone", débute ainsi son livre Je suis le prix de votre liberté, paru aux éditions Grasset le 16 juin.
Une affaire qui divise l'opinion publique
Rapidement, l'affaire Mila a été évoquée sur les plateaux de télévision et les réseaux sociaux, certains soutenant la jeune fille au nom du droit à la liberté d'expression avec le hashtag #JeSuisMila, et d'autres se réclamant de la lutte contre l'islamophobie sous le hashtag #JeNeSuisPasMila. L'ancienne ministre de l'environnnement, Ségolène Royal, avait expliqué au Parisien qu'elle n'aurait "absolument pas" partagé le mot-clé #JeSuisMila pour soutenir la lycéenne, ne souhaitant pas qu'"une adolescente qui manque de respect" soit "érigée en parangon de la liberté d'expression".
L'affaire s'est d'ailleurs vite invitée sur un terrain politique. Le 29 janvier 2020, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, avait suscité une polémique après avoir été interrogée sur ce qui était le plus grave "entre insulter une religion ou menacer de mort quelqu'un", surEurope 1. "Dans une démocratie, la menace de mort est inacceptable", avait-elle déclaré, ajoutant que "l'insulte à la religion, c'est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c'est grave". Sa déclaration avait été vivement condamnée et la garde des Sceaux avait reconnu une expression maladroite.
En haut lieu, le soutien est sans faille. Dans un entretien accordé au Dauphiné libéré (réservé aux abonnés), le 12 février 2020, le président Emmanuel Macron appuie la revendication de Mila au droit au blasphème : "La loi est claire : nous avons droit au blasphème, à critiquer, à caricaturer les religions". Rappelant que l'Etat lui "devait une protection". A quelques jours de l'ouverture du procès des cyberharceleurs de Mila, le 3 juin, le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, avait de nouveau pris la défense de la jeune femme devant l'hémicycle, dénonçant "un scandale au cœur de notre société", relate BFMTV.
Deux enquêtes et plusieurs gardes à vue
La justice, elle aussi, n'a pas tardé à réagir. Le 15 novembre 2020, le parquet de Vienne ouvre une première enquête à l'encontre de Mila pour "provocation à la haine à l'égard d'un groupe de personnes, en raison de leur appartenance à une race ou à une religion déterminée". Elle est finalement classée sans suite fin janvier 2020. L'enquête a démontré que les propos diffusés, "quelle que soit leur tonalité outrageante", avaient pour "seul objet d'exprimer une opinion personnelle à l'égard d'une religion, sans volonté d'exhorter à la haine ou à la violence contre des individus", a conclu le procureur en charge de l'affaire.
En revanche, les enquêteurs poursuivent leurs investigations pour trouver les auteurs des menaces de mort exprimées à l'encontre de la jeune fille, qui a porté plainte. Le 1er octobre 2020, un premier harceleur, un jeune homme de 23 ans, est condamné à trois ans de prison, dont la moitié ferme, pour avoir menacé l'adolescente de viol et de meurtre dans quatre vidéos postées sur internet. Une seconde enquête pour "menaces de mort par écrit et harcèlement électronique" est ouverte par le parquet de Vienne au lendemain de la publication de la seconde vidéo de Mila, le 15 novembre. Début décembre, le nouveau pôle national de lutte contre la haine en ligne (OCLCH) reprend le dossier afin de centraliser les investigations menées dans les différentes régions de France.
En tout 10 hommes et trois femmes, âgés entre 18 et 30 ans, pour la plupart sans antécédent judiciaire et qui ne se connaissaient pas, ont été interpellés. Ils sont accusés d'avoir "harcelé en ligne" Mila après la publication de sa seconde vidéo en novembre 2020. Certains sont également jugés pour "menaces de mort", et l'un d'eux pour "menaces de crime".
Lors de leur garde à vue qui s'est déroulée entre février et avril 2021, ils ont en grande partie reconnu être les auteurs des messages et ont dit les "regretter". Que cela soit N'Aissita, étudiante en psychologie qui a souhaité à Mila "de mourir de la façon la plus atroce qui puisse exister", Jordan, cuisinier de 29 ans qui l'a menacée de viol, ou encore Manfred, étudiant en droit qui a menacé la jeune fille "d'une Samuel Paty", ils sont tous convaincus de ne pas avoir harcelé Mila, détaille Le Figaro (accès abonnés). Ils encourent deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour le harcèlement en ligne, et trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende pour les menaces de mort.