Mal-logement : la Fondation Abbé Pierre veut des solutions aux "bouilloires thermiques"
Vagues de chaleur
La précarité énergétique d'été – le fait de vivre dans un logement trop chaud sans pouvoir y remédier – est encore négligée par les pouvoirs publics, juge la Fondation Abbé Pierre dans une étude publiée lundi. Celle-ci alerte les autorités et suggère une série des mesures "low-tech", de changements dans la loi et d’aides urgentes. Avec la multiplication des vagues de chaleur en France, de plus en plus de personnes vont être concernées.
Le quartier populaire du Val Fourré à Mantes-la-Jolie, en banlieue parisienne, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, le 29 mars 2022.
"En été, les logements passoires se transforment en véritables bouilloires thermiques", relève la Fondation Abbé Pierre, qui se penche pour la première fois sur la question de la précarité énergétique estivale, considérée comme une nouvelle forme de mal-logement.
"Il est urgent de s’y attaquer maintenant. On n’est pas sur une question de confort d’été mais d’habitabilité de certains logements plusieurs mois par an", alerte l’ONG dans une étude parue lundi 26 juin. "Avec le réchauffement climatique et des vagues de chaleurs de plus en plus intenses et fréquentes, de plus en plus de personnes vont être concernées".
En effet, d’après les projections de Météo France, la France devrait être soumise à deux fois plus de vagues de chaleur d’ici 2050.
La Fondation appelle à s’inquiéter plus particulièrement du sort des personnes âgées, à la santé plus fragile, mais aussi des jeunes dont les logements sont plus petits et plus précaires en raison de leurs faibles revenus. L’habitat des personnes vivant dans les quartiers populaires des villes est aussi source de préoccupation l’été. Des quartiers "souvent peu végétalisés, plus vulnérables au phénomène d'îlot de chaleur urbain", souligne la Fondation.
Ces îlots de chaleur urbain sont des endroits en villes où les températures sont particulièrement élevées de jour comme de nuit, avec des différences de températures pouvant aller jusqu’à 10 °C par rapport aux zones rurales les plus proches. Une situation qui s'explique par la présence de béton, qui stocke la chaleur pendant la journée et la rediffuse pendant la nuit, par le manque de végétation et de sources d’eau et par l’excès de minéralisation qui limitent le refroidissement nocturne de l’air. À cela s’ajoute l’intensité de l’activité urbaine et de la circulation automobile qui libère de la chaleur.
La climatisation "injuste" socialement et écologiquement
"De plus, les ménages qui y vivent [dans les quartiers populaires urbains] sont plus souvent confrontés à des situations de surpeuplement, habitent des logements moins bien isolés, moins ventilés", note l'ONG qui rappelle que lors de la canicule de 2003 en France, le risque de décès était deux fois plus élevé dans un quartier avec des îlots de chaleur urbain, et multiplié par quatre pour ceux vivant dans une chambre sous les toits.
En 2003, la Seine-Saint-Denis avait alors été le deuxième département français le plus touché. La Fondation rappelle que ce département dense et pauvre avait subi une surmortalité de 160 %.
Prenant en compte la situation de ces Français les plus vulnérables, la Fondation Abbé Pierre prône une série de mesures visant à faire baisser la température dans les logements. Des recommandations dites "low-tech" ou "sobres". Car comme le souligne l’ONG, un climatiseur bon marché revient à près de 130 euros par mois, ce que ne peuvent pas se permettre les ménages les plus modestes. En France, 37 % des catégories supérieures possède un climatiseur, soit deux fois plus que parmi les ménages sans emploi ou inactifs.
La Fondation estime que le recours à la climatisation, qui "représente déjà 5 % des émissions de gaz à effet de serre du bâtiment", est aussi "injuste" socialement qu’écologiquement.
L’installation de protections solaires (volets, toitures végétalisées...), de revêtements clairs et le lancement d’un grand plan de végétalisation aux abords des logements sont autant de moyens suggérés par les auteurs de cette étude, qui énoncent dix-neuf recommandations, essentiellement à l’adresse de l’État, des collectivités et des bailleurs, afin de lutter contre la chaleur.
"Selon le type de protection solaire utilisé, il est possible de réduire la température intérieure de 2 à 5 °C", explique le rapport de la Fondation Abbé Pierre, à l’instar de la végétalisation des toits qui, selon l’ONG, "peut faire baisser la température de l’air ambiant de 3 à 5 °C, et jusqu’à 13 °C en ressenti".
Faire évoluer la loi et les aides énergétiques
Or, "dans certains cas, la protection du patrimoine ou les règlements de copropriété empêchent l'installation de volets ou de protections solaires en façade", observe la Fondation qui suggère de faire évoluer les règles des copropriétés.
L’ONG regrette aussi que la protection des logements contre la chaleur ne soit pas suffisamment prise en compte dans la loi française. Pour la construction neuve, ce n'est le cas que depuis 2022. Pour le parc existant, la Fondation demande donc que les diagnostics de performance énergétique obligatoires en tiennent compte.
Autre levier pour agir : inclure ces travaux dans les aides à la rénovation énergétique qui ne prend en compte que les pertes d’énergie liées au froid, et pas suffisamment les impacts du réchauffement climatique en été.
Enfin, parmi ses suggestions, la Fondation recommande de durcir la législation à l’adresse des bailleurs en les obligeant à poser des volets à minima, car si la loi leur impose une température minimale de 19 degrés dans les logements loués, aucune température maximale n'est mentionnée.
En France, les locataires sont plus nombreux que la moyenne à souffrir d’un excès de chaleur (63 %, contre 59 % de la population globale), d’après le baromètre 2022 du Médiateur national de l’énergie, une autorité indépendante.
Avec AFP