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Les agressions contre les maires, "une incarnation du malaise démocratique"

Lors des émeutes qui ont éclaté après la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier mardi 27 juin, une partie de la colère s'est tournée vers les élus locaux, notamment les maires. Alors que plusieurs d'entre eux ont été ciblés, la violence semble avoir atteint son paroxysme dimanche, lorsque le domicile de l'édile de L'Haÿ-les-Roses, dans le Val-de-Marne, a été attaqué par une voiture bélier. "Parce que nous agissons, nous sommes menacés, nous sommes insultés, nous sommes agressés. Cela ne peut plus durer", a lancé Thierry Falconnet, maire socialiste de Chenôve. Des dizaines de personnes se sont réunies lundi 3 juillet dans cette commune populaire de la banlieue de Dijon, comme à Brest, Saint-Denis, Paris ou encore Nanterre, en soutien au maire de L'Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun, dont le domicile a été attaqué dimanche lors des émeutes déclenchées par la mort du jeune Nahel, tué par un policier. Vers 1 h 30 du matin, alors que l'édile dormait à l'hôtel de ville, une voiture bélier a été délibérément lancée contre son domicile, déclenchant un incendie. Son épouse, Mélanie Nowak, également élue municipale, présente sur les lieux, s'est cassé le tibia en essayant de fuir avec leurs deux enfants de 5 et 7 ans. Une enquête pour tentative d'assassinat a été ouverte. "Cette nuit, un cap a été franchi dans l’horreur et l’ignominie", a écrit Vincent Jeanbrun dimanche matin sur Twitter. "C’est une tentative d’assassinat d’une lâcheté inqualifiable", a poursuivi l’édile, dont la ville, située à cinq kilomètres de Paris, compte plus de 30 000 habitants. "C'est la maire, on va se la faire" "Cet événement rappelle que les maires et élus locaux se trouvent en première ligne face à la colère d'une partie de la population. Cela est inhérent à leur fonction d'élu de proximité", explique Dorian Dreuil, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, spécialiste des enjeux de mobilisation citoyenne et de démocratie. "Alors qu'auparavant, ils étaient perçus comme des interlocuteurs vers qui se tourner pour communiquer ses frustrations, ils cristallisent désormais la défiance envers l'État et la vie politique." "C'est l'incarnation d'un malaise démocratique : plus les tensions dans la société augmentent autour des enjeux d'inégalités et de qualité de vie, plus la population se détache des institutions, plus la tâche des maires et des élus devient difficile", résume le spécialiste. "En attaquant le maire de L'Haÿ-les-Roses, ce n'est donc pas tant l'homme qui a été agressé que ce qu'il représente – l'État, le gouvernement et la vie politique." Car l’attaque de L’Haÿ-les-Roses est loin d'avoir été un cas isolé ces derniers jours. "Tuez le maire", s'est entendu dire Bernard Jamet, premier magistrat de Sannois, une commune de 26 000 habitants du Val-d'Oise, pris à partie jeudi soir alors qu'il tentait d'empêcher un groupe de s'attaquer à la mairie. À Pontoise, la maire Stéphanie Von Euw (Libres !) a vu une fusée d'artifice s'écraser devant sa voiture. "J'ai entendu 'C'est la maire, on va se la faire'", a-t-elle témoigné sur Europe 1, brûlée à la cheville. Dans l'agglomération de Tours, le véhicule d'Emmanuel François, maire de Saint-Pierre-des-Corps, a été incendié sous ses yeux dans la nuit de jeudi à vendredi. Le lendemain, des émeutiers se sont introduits dans le jardin du maire de La Riche, avant d’incendier sa voiture de fonction. Au total, le président de l’Association des maires de France (AMF), David Lisnard, a fait état auprès de l’AFP de "50 mairies ou bâtiments municipaux attaqués" depuis mardi 27 juin – "une première dans l’histoire du pays". "Nous sommes les réceptacles de toutes les frustrations et de toutes les colères", abonde Damien Allouch, maire socialiste d'Épinay-sous-Sénart, dans l'Essonne, et secrétaire général de l'Association des maires ville et banlieue de France. "Ces derniers jours, malgré tout ce qu'il se passait, j'ai préféré rester en retrait car je savais que ma seule présence dans les rues pouvait attiser les tensions, ce qui aurait été complètement contre-productif", témoigne-t-il. "C'est très inquiétant pour notre démocratie. Nous sommes censés protéger nos citoyens et répondre à leurs besoins, pas craindre pour notre intégrité physique quand nous intervenons sur le terrain." Comme Dorian Dreuil, Damien Allouch voit dans ces violences envers les élus une "défiance globale" à l’égard des institutions. "Dans nos territoires, les services publics manquent de plus en plus et cela rend la tâche de répondre aux besoins de la population particulièrement difficile", déplore-t-il. "Et souvent, nous sommes les derniers liens entre ces citoyens et l'État." Des agressions en constante augmentation Si les agressions de ces derniers jours sont à analyser dans le contexte spécifique des émeutes liées à la mort du jeune Nahel et à la situation dans les banlieues françaises, elles viennent en réalité faire écho à un phénomène bien plus large. Entre 2021 et 2022, le nombre d'agressions d'élus en France s'est envolé, passant de 1 720 à 2 265, soit un bond de 32 %, selon le ministère de l'Intérieur. En mai, la très médiatique démission du maire de Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique) Yannick Morez après l’incendie criminel de sa maison en est devenue le symbole. L'édile subissait depuis plusieurs mois des menaces et intimidations de certains habitants et de groupes d’extrême droite en raison d'un projet de transfert d'un centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada). Depuis, les témoignages d'élus se sont multipliés, relatant des faits de véhicules sabotés, de harcèlement, de campagnes de dénigrement anonymes ou encore de menaces avec une arme à feu. "Il est de plus en plus difficile de faire notre travail", dénonce Murielle Fabre, élue à Lampertheim (Bas-Rhin) et secrétaire générale de l’Association des maires de France. "Et c'est un symptôme de la dégradation du climat social et politique dans le pays alors que nous subissons crise après crise – les Gilets jaunes, le Covid-19, les retraites…" Autre élément décisif, selon l'édile : les réseaux sociaux. "Il y a une hystérisation des propos, proférés sans filtre, qui relèvent souvent de l’injonction agressive, dénonce-t-elle. "Et cette brutalité peut déborder dans le monde réel, justifiant pour certains un passage à l’acte physique." Signe de ce climat délétère, près de 1 300 élus ont raccroché leur écharpe depuis les dernières élections municipales de 2020 – sur les quelque 35 000 communes que compte l'Hexagone. Un chiffre inédit. "Redonner du sens au rôle de maire" Dans la foulée de la démission du maire de Saint-Brévin, l'exécutif avait présenté mi-mai tout un panel de mesures pour mieux protéger les élus locaux. Ce "pack sécurité" prévoit notamment la formation de gendarmes ou policiers désignés pour devenir les interlocuteurs privilégiés des victimes – une opération censée permettre une intervention plus rapide en cas d’appel au 17. Un observatoire a aussi été mis en place par le ministère de l'Intérieur, destiné à évaluer le phénomène des agressions d’élus, à le comprendre et à le cartographier. Surtout, les peines judiciaires encourues devraient être alourdies et alignées sur celles concernant les atteintes aux personnels en uniforme (gendarmes, policiers, pompiers...). L'agression d'un élu deviendrait ainsi passible de 3 à 7 ans de prison et de 75 000 à 100 000 euros d'amende. "Il est temps d'agir", insiste Murielle Fabre. "Si renforcer les sanctions est indispensable, il faut aussi faire des changements en profondeur et redonner du sens au rôle de maire. Et pour cela, il faut permettre aux élus de répondre davantage aux demandes des concitoyens en améliorant les conditions d’exercice des mandats."

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