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Le procès des attentats du 13-Novembre "restera comme un grand moment de justice"

Dix mois après le début du procès des attentats du 13-Novembre, l’heure est au premier bilan. Que dire de son organisation ?  Du travail des avocats de la défense ? De la place faite à la partie civile ?  Trois responsables d’associations de victimes livrent à France 24 leurs impressions sur ce procès hors normes. Il y a aura certes quelques esprits chagrins pour trouver à redire sur la bonne tenue du procès des attentats du 13-Novembre. Mais de l’avis général, chacun salue l’exemplarité de son déroulement. "Tout a été mis en œuvre pour que le procès se passe bien et il s’est bien passé", assure Marie-Claude Desjeux, présidente de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (FENVAC). "On partait dans l’inconnu et aujourd’hui, on ne peut que se réjouir de l’excellent déroulement du procès", renchérit Arthur Dénouveaux, président de l’association Life for Paris. "Je m’attendais à en entendre beaucoup moins. Si on m’avait demandé de décrire le procès idéal, je n’aurais même pas osé imaginer celui que nous avons vécu". Mieux, le procès V13, comme les juristes le désignent, "restera comme un grand moment de justice", résume Philippe Duperron, président de l’association de victimes 13onze15 et père de Thomas, tué au Bataclan. "Tout le monde a fait le job pour que ce procès tant attendu s’écrive dans l’Histoire, avec un grand H".  À lire : Procès des attentats de novembre 2015 : "j’avais peur d’une justice spectaculaire et démesurée" Les débuts de ce procès hors norme laissaient pourtant poindre quelques craintes du côté de l’organisation. La première audience, le 8 septembre 2021, avait commencé avec près d'une heure de retard en raison de problèmes de sonorisation. Les interprètes, équipés de micros, demeuraient inaudibles par l'assistance. Les avocats, appelés un à un à citer leurs clients, étaient sommés à maintes reprises par le président de parler plus près du micro. Pas de Wi-Fi disponible pour les journalistes en salle de presse. Des problèmes également avec la webradio prévue pour les auditeurs à distance. Et, dans la salle, des récriminations d'avocats de la partie civile concernant le calendrier du procès. "Un peu de patience, avait alors lancé un juriste empreint de sagesse, les choses vont se faire, tout le monde est en rodage."  "L’organisation est la plus grande réussite de ce procès"  Très vite, chacun a pu constater que ce message aux contours prophétiques avait fini par se réaliser les jours suivants, les problèmes logistiques se réglant les uns après uns les autres. Au point que "l’organisation est la plus grande réussite de ce procès", estime Marie-Claude Desjeux. Elle n’a montré aucune faille." Et ce malgré la crise sanitaire venue jouer les troubles-fêtes. "Le caractère remarquable et même exemplaire de ce procès est en grande partie lié au long de travail de préparation qui a été effectué en amont avec les avocats, les professionnels chargés de l’organisation du procès et les associations de victimes," poursuit Philippe Duperron. Ce travail collaboratif a même permis la mise en place de dispositifs jusque-là inédits : une webradio, une assistance psychologique en ligne pour les victimes, et dans les rangs de la salle d’audience, un système de badges de couleur pour distinguer le rôle de chacun, et notamment les victimes qui souhaitent s’exprimer (cordon vert), et celles qui refusaient (cordon rouge) de parler à la presse (cordon orange). "Ces dispositifs, comme la webradio, ont si bien marché qu’ils vont être repris pour le procès des attentats de Nice qui s’ouvre le 5 septembre prochain".   Autre point unanimement salué : la large place faite aux victimes. Leur parole a en effet été relayée pendant cinq semaines en octobre puis encore une semaine en mai. "Si quelques-uns ont pu critiquer une certaine lenteur du calendrier, il faut aussi reconnaitre la place inhabituelle qui a été faite aux plaignants par le président Jean-Louis Périès, qui a permis à chacun de s’exprimer", se réjouit Philippe Duperron. Un bémol tout de même : "Il est dommage que certaines paroles de colère et de haine n’aient pas été relayées dans les médias au même titre que les messages humanistes, regrette Arthur Dénouveaux. Dominé par l’esprit ‘vous n’aurez pas ma haine’ [du nom du livre d’Antoine Leiris, devenu veuf après l’attaque du Bataclan, NDLR], les témoignages de colère et de haine font été occultés alors qu’ils font aussi partie de l’humanité. On a parfois montré un monde dans lequel on aimerait vivre et non le monde dans lequel on vit".   D’un point de vue technique, il faut aussi relever les moyens financiers exceptionnels mis en place à l‘attention des victimes pour qu’elles puissent venir au procès. Outre le remboursement des frais de transport (voiture, train, avion), d’hébergement et de repas pour chaque audience, chaque partie civile a pu bénéficier d’une indemnité de comparution de 42, 50 euros par jour, à laquelle on peut ajouter une indemnité de perte de salaire. "Même s’il y a eu quelques couacs, notamment dans la lenteur des remboursements et la modalité des pièces justificatives, on ne peut que saluer le fait que l’État a mis beaucoup d’argent dans ce procès", tient à rappeler Philippe Duperron.     "Le fabuleux travail des avocats"  Toujours du côté de la partie civile, la qualité du travail des avocats des victimes a lui aussi été largement reconnu. "De manière générale, tous les avocats de la partie civiles ont été brillants, à quelques exceptions près. Ce travail choral a permis à chacun d’être représenté sans que les 400 avocats n’aient chacun à plaider, admet Philippe Duperron. "Leur travail a surtout été fabuleux en accompagnant les victimes lors de ces six années de préparation, ajoute Arthur Dénouveaux. Car lors du procès, les avocats ont parfois semblé avoir du mal à trouver leur place. Ils étaient moins bien placés que les victimes elles-mêmes pour dire la souffrance et moins bien placés que les experts pour évoquer les mécanismes du terrorisme et de la radicalisation. Il y avait finalement peu de place laissée aux ressorts juridiques".    La qualité du procès a également beaucoup tenu au travail de la défense. "Les premières prises de paroles des accusés auraient pu faire craindre des échanges houleux entre les avocats, explique Marie-Claude Desjeux. Mais finalement, les avocats de la défense, quoique jeunes, ont réussi à faire comprendre leur travail au point de le faire admettre de tous". Bruno Poncet, rescapé du Bataclan, s’est également réjoui de cette qualité "exceptionnelle" de la défense. "Les accusés sont défendus par des gens admirables. C’est important, cela montre que la réponse à la barbarie, ça ne peut être que la démocratie et la justice", expliquait-t-il vendredi en sortant de la plaidoirie de Martin Vettes et Olivia Ronen, avocats de Salah Abdeslam.    Jean-Louis Périès, "l’autorité bienveillante" du procès  Mention spéciale au président de la cour spécialement composée, Jean-Louis Périès. "Tout au long du procès, son attitude a été remarquable", souligne Philippe Duperron. Il a toujours fait preuve d’une autorité bienveillante et recadré quand il le fallait pour faciliter les échanges". Et Arthur Dénouveaux d’ajouter : "Son propos liminaire du 8 septembre sur la nécessité de juger les accusés dans la norme judiciaire, malgré le caractère hors norme du procès, reste l’image la plus forte que je garde".   Reste-t-il des regrets à l’issue de ce procès fleuve ? "Il ne peut y avoir de regrets que lorsque l’on a des attentes, juge Philippe Duperron. Au sein de 13onze15, on a travaillé sur l’idée qu’il ne fallait pas avoir d’attente pour éviter les déceptions. Certains ne manqueront pas de nourrir quelques frustrations car nous n’avons pas eu les aveux des uns et des autres. Mais un procès n’apporte pas toutes les réponses. Certes, Salah Abdeslam n’a pas tout dit. La question de sa sincérité est au cœur de toutes les interrogations. Mais ce qui importe est que le procès ait eu lieu et que les accusés aient pu entendre les victimes. Le procès nous a surtout permis d’évoluer. J’ai personnellement mieux compris les dernières minutes de mon fils Thomas, mort deux heures après sa sortie du Bataclan. On n’est pas restés dix mois dans ce 'paquebot' sans que des choses ne se créent."  Point de vue partagé par Arthur Dénouveaux : "Il y a bien quelques lacunes dans ce procès, notamment sur l’enquête belge avec ces policiers qui n’ont pas eu la courtoisie de se déplacer. Mais il reste de tout cet épisode judiciaire de beaux moments de fraternité. Voir des accusés en comparution libre fraterniser avec des parties civiles à la sortie des audiences reste un très beau moment de justice". Et Marie-Claude Desjeux de conclure : "Ce procès nous a tous fait grandir".  

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