"La police tue" : comment la polémique sur le refus d'obtempérer s'est déplacée sur le terrain politique
Jean-Luc Mélenchon a suscité un débat à travers la classe politique en condamnant le comportement des policiers qui ont abattu la passagère d'un véhicule dont le conducteur aurait tenté de fuir un contrôle.
Un contrôle de police, une jeune femme tuée par balle par des policiers, et un débat qui s'enflamme sur le terrain politique. La mort de la passagère d'un véhicule dont le conducteur est soupçonné d'avoir refusé d'obtempérer, samedi 4 juin, en fin de matinée, dans le 18e arrondissement de Paris, a ravivé la question de l'usage de la force par les policiers et gendarmes et nourri une nouvelle passe d'armes entre Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, et ses adversaires politiques.
>> Paris : ce que l'on sait de la mort de la passagère d'une voiture, tuée par balle par des policiers dénonçant un refus d'obtempérer
Franceinfo revient en quatre actes sur ces vifs échanges politiques, qui surviennent avant le premier tour des élections législatives.
1Mélenchon dénonce "une police qui tue"
Jean-Luc Mélenchon a réagi en deux temps. Quelques heures après les faits, alors que la passagère se trouvait entre la vie et la mort, le leader de La France insoumise a publié un premier message sur Twitter dénonçant "encore un abus de pouvoir inacceptable" de la part de policiers. "La peine de mort pour un refus d'obtempérer. Le préfet approuve ? Le ministre félicite ? La honte, c'est quand ?" s'est-il insurgé.
Le lendemain, dimanche 5 juin, l'ancien candidat à la présidentielle a qualifié le syndicat de police Alliance de "groupe factieux" et écrit "la police tue", une expression qui avait déjà valu une polémique à Philippe Poutou.
Invité de France Inter, Jean-Luc Mélenchon a assumé avoir "monté le ton" pour dénoncer "l'évolution de l'usage de la force de la police telle qu'elle est aujourd'hui définie par le pouvoir politique qui commande". "Si vous votez pour moi, je changerai la doctrine d'usage de la force de police dans notre pays", a promis celui qui espère devenir Premier ministre si l'alliance de gauche (Nupes) emporte une majorité de sièges à l'Assemblée à l'issue des législatives des 12 et 19 juin.
Se défendant d'être "antiflic", Jean-Luc Mélenchon a de nouveau pointé du doigt les "comportements factieux", selon lui, de certaines "organisations politico-syndicales" policières. "Quand les policiers ont comme seule réponse après l'affaire du Pont-Neuf [au cours de laquelle un policier est soupçonné d'avoir tué le conducteur et un passager d'une voiture qui aurait forcé un contrôle] de faire une manif' où ils dénoncent la justice, c'est un comportement factieux !" a-t-il tonné.
2Borne critique des "propos outranciers"
Les mots de Jean-Luc Mélenchon ont déclenché une salve de critiques, au moment où la Nupes est identifiée par la majorité présidentielle comme son principal adversaire aux législatives. "Les policiers, les gendarmes méritent le respect. Ils font un travail courageux, difficile et risquent leur vie à chaque instant", a d'abord réagi lundi le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. "Les insulter déshonore ceux qui veulent gouverner. Laissons les enquêtes se faire sans les utiliser comme des otages d'une campagne électorale."
Invitée de France Bleu, la Première ministre Elisabeth Borne a été encore plus frontale. "Je trouve très choquant la façon qu'a Jean-Luc Mélenchon de s'en prendre systématiquement à la police avec des propos totalement outranciers", s'est émue la nouvelle cheffe du gouvernement.
"Quatre morts en 4 mois. La mort d'une jeune femme de 21 ans abattue d'une balle dans la tête : pas grave pour Borne. Pour elle, moi seul suis un problème", lui a aussitôt rétorqué Jean-Luc Mélenchon sur Twitter, la qualifiant de "Première ministre technocrate sans cœur, sans compassion humaine, sans principe républicain sur la force publique".
"Il va trop loin", a de son côté protesté le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, critiquant un "dérapage contrôlé". "C'est insupportable de la part d'un haut responsable politique, particulièrement dans cette période électorale", a estimé le garde des Sceaux sur BFMTV. Et d'interroger : "C'est le 'politburo' de LFI qui rend la justice dans ce pays ?" "Opposer justice et police, comme le font certains en permanence, c'est extraordinairement grave pour notre pacte républicain", a-t-il encore estimé, omettant au passage de rappeler que des responsables syndicaux d'Alliance police ont répété à plusieurs reprises que "le problème de la police, [c'était] la justice".
3La droite et l'extrême droite embrayent
Jean-Luc Mélenchon est "toujours du côté des voyous", "jamais des forces de l'ordre", a fustigé Marine Le Pen, l'ex-candidate du Rassemblement national à la présidentielle, sur l'antenne de franceinfo. La député du Pas-de-Calais a plaidé pour une "présomption de légitime défense" pour les policiers. "Quand on est un dirigeant politique du niveau de Mélenchon, dire 'la police tue', c'est une véritable honte", a-t-elle encore lancé.
"Que Monsieur Mélenchon fasse son fonds de commerce de la critique permanente des policiers est un scandale", s'est pour sa part indigné Xavier Bertrand au micro de RTL. Pour le président LR des Hauts-de-France, le leader de la Nupes ne doit "jamais de la vie" devenir Premier ministre.
Invité sur France 2, Bruno Retailleau, le patron des sénateurs des Républicains, a de son côté dénoncé "des propos intolérables" et réclamé des "excuses aux policiers".
4La gauche se montre hésitante
Les prises de position de Jean-Luc Mélenchon ont été diversement appréciées au sein de la gauche. Bernard Cazeneuve, ancien ministre de l'Intérieur de François Hollande, notoirement opposé à l'alliance de la gauche, a estimé sur Twitter qu'"insulter et salir [les policiers] par électoralisme et par pur cynisme est irresponsable et indigne
Même au sein même de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, certains ont choisi de prendre leurs distances avec le chef de file des insoumis. Interrogée par franceinfo, la porte-parole socialiste Dieynaba Diop a ainsi estimé que Jean-Luc Mélenchon avait utilisé un vocabulaire "trop fort". "J'ai naturellement des paroles modérées", a reconnu Renaud Le Berre, candidat écologiste de la Nupes dans la 5e circonscription des Français de l'étranger, sur franceinfo. "Quand il y a un drame de ce genre, il faut toujours être prudent, avoir tous les éléments d'enquête pour se prononcer."
Invitée des "4 Vérités" sur France 2, l'écologiste Sandrine Rousseau, candidate de la Nupes dans le 9e circonscription de Paris, a de son côté apporté un franc soutien à Jean-Luc Mélenchon. "De fait, des policiers ont tué, et de fait, ça n'est pas la première fois", a estimé l'ancienne candidate à la primaire écologiste qui plaide pour "réapaiser les relations entre la population et la police".
FRANCE 2