Journée de l’autisme : “On ne rattrape pas 40 ans de retard en trois ans”
Un enfant autiste encadré par une enseignante spécialisée dans les troubles de l'autisme, au collège du Parc à Aulnay-sous-Bois, le 9 octobre 2019.
Isolement, perte de repères, retard dans les prises en charge et les diagnostics… En France, la pandémie a renforcé les difficultés des jeunes autistes et de leurs familles. Quel a été l’impact de la crise sanitaire pour ces enfants ? Quel bilan faut-il faire du 4e plan “autisme” du gouvernement ? Éléments de réponse avec Florent Chapel, coprésident d'Autisme Info Service.
C’est un constat partagé par toutes les associations et les parents de jeunes autistes : le Covid-19 a bouleversé le quotidien des enfants atteints de ce trouble du neuro-développement qui entraîne des difficultés à socialiser, une hypersensibilité sensorielle ou encore un grand attachement à la routine et aux rituels.
Les restrictions sanitaires ont contribué à aggraver une situation déjà compliquée. En cause, le manque de structures d’accueil et de personnels formés à la prise en charge des 700 000 personnes atteintes d’autisme en France.
Alors qu’Emmanuel Macron s’est rendu en Isère, dans un centre de dépistage près de Grenoble, à l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, vendredi 2 avril, France 24 fait le point sur cette année de crise sanitaire, mais aussi sur les objectifs du plan gouvernemental “autisme” lancé en 2018, avec Florent Chapel. Père d’un enfant autiste, il copréside Autisme Info Service, une plateforme destinée à orienter les familles en leur fournissant des informations sur le trouble du spectre de l'autisme (TSA).
France 24 : Quelles ont été les conséquences de la crise du Covid-19 et des différents confinements sur la vie des jeunes autistes et de leurs proches ?
Florent Chapel : Lors du premier confinement, les parents se sont retrouvés du jour au lendemain avec des centres d’accueil fermés et des maisons départementales du handicap qui ne répondaient plus. Quand vous êtes autiste et que vous n’avez plus votre éducateur, c’est un peu comme si vous étiez diabétique et que n’aviez plus d’insuline.
Pendant cette période, nous avons eu un triplement du nombre d’appels sur notre plateforme. Les parents demandaient, par exemple, s’ils avaient le droit de faire leurs courses avec leur enfant ou s’il était obligatoire qu’il porte un masque, alors qu’il ne le supporte pas.
La question, désormais, est de savoir ce qu’il se passera quand cette marée du Covid se retirera. Nous allons nous retrouver avec les mêmes problèmes, mais en pire, avec probablement, demain, moins d’argent dans les caisses de l’État, des parents très fatigués et certains enfants qui auront sans doute régressé.
Pensez-vous que le gouvernement prenne suffisamment à bras le corps la question de la santé mentale, et notamment celle de l’autisme en cette période de pandémie ?
Des efforts ont été faits, même s’il y a beaucoup de désorganisation. Par exemple, pendant le premier confinement, de nombreuses associations avaient demandé de relâcher l’étau à l’égard des autistes en nous permettant de sortir avec nos enfants pour aller au parc ou se promener. Le gouvernement a accédé à notre demande, car enfermer des enfants toute la journée avec des TSA, ce n’est pas possible, ils cassent tout.
Certaines associations reprochent à votre plateforme de ne pas pouvoir orienter les familles, faute de professionnels formés ou de structures adaptées…
Autisme Info Service sert d’abord à écouter car il y a beaucoup de solitude chez les parents d’enfants autistes. Ensuite, il faut informer, car les gens sont perdus. Être parent d’un enfant autiste, c’est devenir éducateur mais aussi expert administratif et juridique. C’est extrêmement compliqué. Enfin, nous essayons de les aider.
Avec cette plateforme, nous n’avons pas de baguette magique, mais nous servons en quelque sorte de baromètre. Par exemple, on se rend compte que les régions Alsace, Bretagne et Nord-Pas-de-Calais sont trois fois moins bien dotées en ressources que l’Île-de-France.
Les problèmes d’aides de vie scolaire restent toujours présents, mais sont moins criants qu’auparavant. Aujourd’hui, sur le sujet de l’école, on peut trouver des solutions. En revanche, nous constatons que les demandes pour les jeunes adultes sont de plus en plus nombreuses et que peu de solutions existent les concernant. Nous sommes en mesure de remonter ces informations au gouvernement.
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À l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, Emmanuel Macron était dans l’Isère pour visiter un centre de dépistage. Le chef de l’État a rappelé que l’autisme était “un immense chantier dans lequel la France avait historiquement pris du retard”. Ce retard est-il en train d’être comblé ?
Quarante ans de retard ne se rattrapent pas en trois ans. C’est un peu comme un immeuble qui s’effondre : il faut d’abord s’attaquer aux fondations. Aux États-Unis, on estime que 4 enfants sur 5 sont correctement pris en charge. En France, c’est 1 sur 5. Ce n’est pas normal pour un pays moderne. Pendant des années, on a industrialisé un système maltraitant. On part de très loin.
Selon moi, le plan “autisme” du gouvernement est un plan ambitieux, mis en place par des gens compétents, comme Claire Compagnon [déléguée interministérielle chargée de la mise en œuvre de la stratégie nationale autisme, NDLR]. Mais il faut changer de paradigme et généraliser les méthodes comportementales qui, comme l’écrit la Haute Autorité de santé, sont les seules méthodes efficaces. Il va falloir continuer à former les enseignants et les médecins. Le travail est énorme.
Certains désespèrent, mais il faut regarder le chemin parcouru. Il y a dix ans, dans le Larousse, l’autisme était encore décrit comme “un trouble de la relation mère-enfant”. Donc est-ce que les choses avancent? Oui. Mais pas assez vite.