Jean Viard : "Avec la pandémie, le lien numérique a pris la place du lien pétrolier, c'est vraiment devenu le premier lien entre les hommes"
Ça a été l'une des grandes actualités de la semaine écoulée : la panne géante lundi 4 octobre sur les réseaux sociaux. Tous les internautes ont retenu leur souffle lundi 4 octobre, privés que nous étions pendant de longues heures de nos comptes Facebook, Instagram, WhatsApp... et des utilisateurs avaient encore des difficultés à se connecter en fin de semaine.
Avec le sociologue Jean Viard, nous évoquons aujourd'hui ce qui fut l'une des actualités mondiales de la semaine, la panne géante pendant de longues heures de nos comptes Facebook, Instagram, WhatsApp. Une panne qui interroge notre rapport aux réseaux sociaux.
franceinfo ; Jean Viard, c'est vrai, pour certains, c'était un peu la panique lundi ?
Jean Viard : Alors oui, moi, ça m'a rappelé les grandes grèves de la poste des années 70. Tout d'un coup, on ne savait plus quoi faire. Parce que c'est un peu pareil, sauf que ça a duré plusieurs jours. Après, il y a eu des problèmes sur les fax, le fax, cet objet qui permettait d'envoyer des courriers à toute vitesse. Quand ça s'arrêtait, il n'y avait plus rien qui marchait. Et puis il y avait le téléphone, je vous rappelle qu'à l'époque, il fallait deux ans ou trois ans pour obtenir un téléphone quand on déménageait, c'était presque une raison quand on en avait un pour ne pas déménager.
Donc, tous ces liens ont changé. Et au fond, quand ça s'arrête, on se rend compte qu'on en est complètement dépendant. On est entré dans une civilisation numérique, que ce soit par le son ou que ce soit par le texte et l'image, l'écran et je crois que c'est devenu le lien premier des hommes et que ce lien premier, c'est un lien pour communiquer, pour travailler, mais aussi pour se cultiver. On peut visiter un musée, on peut écouter un livre audio, on peut faire des tas de choses, on peut écrire un livre sur Internet, etc.
C'est vraiment devenu le premier lien entre les hommes. Et alors, quand ça s'arrête, c'est la panique. Et ça montre aussi que des grands groupes internationaux qui gèrent ça ont une responsabilité énorme, sans doute un peu trop haute, parce que ce sont des groupes extrêmement puissants, peu régulés, qui, en plus, laissent passer énormément de choses.
En Europe, il y a une grande loi qui doit être prévue, préparée pour essayer de réguler. Les Américains, effectivement, essayent aussi d'avoir une régulation économique sur les GAFA. Les Chinois ont pris des mesures à la chinoise. Ils ont les mêmes problèmes que nous, mais ils sont très autoritaires en disant les enfants vont regarder TikTok 3 heures par jour, etc. Mais au fond, la vraie question pour toute la planète, c'est comment à la fois on protège ces circuits pour qu'ils marchent, qu'ils ne consomment pas trop d'énergie et en même temps, qui respectent un certain nombre de valeurs. C'est la grande bataille des dix prochaines années.
Ces smartphones sont presque devenus une prolongation de nous-mêmes. Il y a même des phobiques, diagnostiqués comme tels, qui ont la crainte de ne plus avoir leur smartphone, leur téléphone portable près d'eux. Et peut-être que ce phénomène-là, il s'est accentué lors des derniers mois que nous venons de vivre avec la pandémie, les confinements. C'était bien pratique d'avoir ces réseaux sociaux pour pouvoir continuer à avoir du lien social et des relations avec nos amis ?
Heureusement qu'il y avait les liens sociaux, quand on a été complètement enfermé chez nous pendant deux mois., en 2020, s'il n'y avait pas eu la télévision, le téléphone et Internet, mais la vie aurait été une galère épouvantable. Donc, quelque part, on a pu mener ces politiques de confinement et la plupart des gens ont pu les supporter, même s'il y a quand même 25% des gens qui sont en très grand déséquilibre psychologique, parce qu'on avait ces liens virtuels.
Et il me semble que après la guerre de 45, on a tous pris l'habitude quand on voulait voir quelqu'un, de dépenser de l'essence. Avant, la plupart des gens circulaient à pied, en vélo et les gens n'avaient pas de voiture, sauf les bourgeois et les camions, avant 1945. Et au fond, là, avec la pandémie, je pense que le lien numérique a pris la place du lien pétrolier, c'est-à-dire que chaque fois, on se dit : "on se fait un zoom où on va se voir ? ", et une fois sur deux, on fait un zoom, etc. pour mes conférences par exemple, j'en fait un tiers par zoom et deux tiers en présentiel, mais les gens se posent la question chaque fois, et regardez la question du télétravail.
Et donc là, on a basculé dans un monde numérique, je crois qu'on ne va plus en sortir. Et le téléphone portable, enfin c'est un objet fascinant, ce petit objet de rien du tout, qui vaut quelques centaines d'euros et qui peut vous permettre de faire autant de choses. C'est une invention tellement extraordinaire, qu'elle est déjà devenue banal, alors que c'est une invention magique d'un monde de communication entre les gens, mais qui aussi, évidemment, un monde de réseaux de pression et de fake news. Mais quand même un monde de lien d'abord, un lien profondément renouvelé.