Ils ont fait l'actu. Irène Frachon, lanceuse d'alerte dans l'affaire du Mediator, pour qui "le job n'est pas terminé"
29 mars 2021. Après 517 heures de débats, le procès-fleuve du Mediator livre son jugement. Les laboratoires Servier – qui ont commercialisé le médicament pendant 33 ans – sont condamnés pour "tromperie aggravée" et "homicides et blessures involontaires". Pour Irène Frachon, la pneumologue qui a révélé l'affaire au grand public, c'est l'aboutissement d'un combat de plus de dix ans. "Les victimes savent aujourd'hui que ce qu'on leur a fait, c'est illégal, c'est interdit, c'est un crime, qu'on n'a pas le droit de le faire."
Le laboratoire Servier a été condamné à verser 2,7 millions d'euros d'amende et l'ancien numéro deux du groupe pharmaceutique a lui été condamné à quatre ans d'emprisonnement avec sursis, ainsi qu'à une amende près de 100 000 euros.
Pour Irène Frachon, la lanceuse d'alerte, les sanctions ne sont pas suffisantes. "C'est une petite tape sur les doigts. C'est de la prison avec sursis, et ne recommencez pas ! Après trente ans de tromperie, c'est juste délirant. C'est quelques heures de chiffre d'affaires du laboratoire qui reste complètement bénéficiaire de cette manip frauduleuse. La tromperie est totalement caractérisée. Le nombre de preuves qui se sont accumulées pendant sept mois, c'est accablant. Et malgré cette évidence d'une tromperie monstrueuse, en toute connaissance de cause, avec des milliers de morts, l'industriel s'en sort pratiquement impuni. Inutile de vous dire que c'est un signal extraordinairement rassurant pour continuer à faire n'importe quoi. C'est complètement surréaliste, en fait/"
Des intimidations
À plusieurs reprises depuis le début de l'affaire, le groupe Servier a tenté parfois de museler la lanceuse d'alerte. "Le laboratoire Servier s'est beaucoup mobilisé pour me discréditer en trouvant des relais au sein du monde médical. Le groupe Servier falsifie mes articles scientifiques pour tromper les juges et empêcher les victimes d'être indemnisées, encore aujourd'hui, en disant que, par exemple, j'aurais écrit que jusqu'en 2009, il n'y avait aucun signal d'alerte sur le Mediator. Des assertions délirantes, ça m'insupporte ! Alors, que voulez-vous que je fasse ? Soit je me bats devant les tribunaux, soit je continue en respectant nos institutions, soit on sort les fusils. Et ça, je ne peux pas le faire."
"Je suis une lanceuse d'alerte privilégiée, maintenant, poursuit Irène Frachon. Porteuse d'alerte, plutôt, parce que j'ai un travail que j'aime, que je vis dans des conditions qui sont agréables, que je suis bien entourée. Et la deuxième chose, c'est le compagnonnage auprès des victimes, puisque un grand nombre d'entre elles sont tout simplement mes patients, des gens que je vois, avec qui j'échange en permanence. La troisième chose, c'est que la question des indemnisations n'est pas résolue et que tous les jours, je reçois plusieurs expertises de la part d'associations de victimes, de cabinets d'avocats qui me demandent de commenter ces expertises. Donc en fait, le job n'est pas terminé."
Marathon judiciaire
Au départ, Irène Frachon ne s'imaginait "absolument pas" partie pour un marathon judiciaire. "Je n'imaginais pas que ce serait aussi difficile de faire valoir d'une part les droits de gens abominablement empoisonnés, et d'autre part de mettre hors d'état de nuire une firme pharmaceutique criminelle et délinquante en France" dit la pneumologue qui a donc endossé le costume de lanceuse d'alerte la plus célèbre de France. "Cela m'a permis de rencontrer des gens formidables qui sont dans cette démarche citoyenne. Ça m'a permis aussi de comprendre que c'est un milieu complexe, avec parfois des tendances complotistes, conspirationnistes, un peu paranoïaques. Et moi, je pense que je ne dois pas me disperser. Je reste donc complètement concentrée sur l'alerte Mediator. On ne va pas devenir 'indignologue' parce qu'on risque la récupération. Je pense que la définition du lanceur d'alerte, c'est qu'il n'est pas professionnel, il n'est pas journaliste, il n'est pas investigateur. C'est la rencontre d'un citoyen et d'une alerte qui n'était pas prévue au programme."
Dans quelques mois, un nouveau procès aura lieu puisque le parquet a fait appel du jugement de première instance. Cette fois, Irène Frachon espère que les sanctions seront "plus justes" et "plus sévères". En attendant, la pneumologue – qui a retrouvé ses patients du CHU de Brest – prépare une bande dessinée qui retrace ses dix années de combat.