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ENQUÊTE. Doctolib : un faux médecin a pu exercer pendant plusieurs semaines sur la plateforme

Après la polémique sur les naturopathes, c’est une nouvelle affaire embarrassante pour Doctolib. Selon les informations de la cellule investigation de Radio France, le parquet de Montpellier vient d'ouvrir une enquête pour "exercice illégal de la médecine" à l'encontre d'un faux médecin qui était inscrit sur la plateforme. Cette fin d’été est décidément mouvementée chez Doctolib. Il y a quelques jours, la plateforme de prise de rendez-vous médicaux était la cible de critiques de médecins et de patients qui lui reprochaient de référencer des naturopathes - une discipline sans fondement médical - dont certains aux profils très controversés. Doctolib a depuis suspendu 17 comptes et promis "d’engager un travail de fond" avec son comité médical, les ordres (des médecins notamment) et les professionnels de santé. >> Doctolib : accusée de promouvoir des praticiens de médecine alternative, la plateforme se défendSelon les informations de la cellule investigation de Radio France, il ne s’agit pas cette fois de disciplines ésotériques, mais bien de faux médecins qui étaient inscrits sur la plateforme. Le parquet de Montpellier a ouvert une enquête en juillet pour "exercice illégal de la médecine" à l’encontre de deux escrocs qui se faisaient passer pour des psychiatres. La supercherie a été découverte grâce à une patiente, qui a dénoncé les faits et porté plainte.Cette patiente, Carole R., est mère de deux enfants de 10 et 11 ans. Ils sont atteints d'un trouble de l'attention avec hyperactivité (appelé TDAH) et sont traités via le médicament Ritaline. L'ordonnance de ce traitement destiné à réguler l'hyperactivité pathologique de certains enfants doit être renouvelée tous les 28 jours. Or, le 11 juin dernier, le psychiatre habituel de Carole est en congé : elle prend rendez-vous sur Doctolib avec un certain David Cantat, dont le profil précise le nom de sa remplaçante, Laura Smith. Capture d’écran du compte Doctolib du faux psychiatre David Cantat. (DOCUMENT CELLULE INVESTIGATION DE RADIO FRANCE) Le praticien a de nombreuses disponibilités : Carole prend donc rendez-vous pour le 18 juin pour une téléconsultation qui sera assurée par sa remplaçante. Reconstitution d’une capture d’écran montrant les consultations proposées sur Doctolib par la dénommée Laura Smith. (GERALDINE HALLOT / CELLULE INVESTIGATION DE RADIO FRANCE) Carole ne recevra jamais l'ordonnance pour ses enfants Le jour du rendez-vous à distance, Carole se connecte sur la plateforme. "Trente minutes avant la consultation, j’avais reçu un lien de Doctolib m’invitant à rejoindre la salle d’attente virtuelle, explique la mère de famille. Je clique dessus mais la connexion est mauvaise. Je réessaye plusieurs fois sans succès", poursuit-elle. "Finalement le docteur Laura Smith m’appelle sur mon portable, me dit qu’elle non plus ne parvient pas à se connecter et qu’on va faire la consultation sur Whatsapp", explique Carole. Sur l’application, la mère de famille allume sa caméra, mais pas le docteur Smith, qui affirme que la sienne ne marche pas. "À ce moment-là, j’ai une première alerte, confie Carole, mais comme j’ai vraiment besoin de cette ordonnance et que j’ai confiance dans Doctolib, je décide de poursuivre". S’ensuit une consultation que Carole décrit comme "lunaire" : "La pathologie de mes enfants s’appelle le TDAH. Je lui ai donc parlé avec cette abréviation mais je voyais bien qu’elle ne comprenait pas". La téléconsultation prend fin. Si le docteur Smith indique qu’elle enverra l’ordonnance dans la messagerie sécurisée de Doctolib, Carole ne recevra jamais le document pour ses enfants. La "psychiatre" lui envoie en revanche une feuille de soin manifestement fausse. Suspicieuse, la mère de famille décide de faire opposition sur sa carte bancaire pour que le montant de la consultation ne lui soit pas débité. "Je m’inquiète surtout pour les dossiers médicaux de mes enfants, que j’avais transmis avant la consultation via Doctolib à cette Laura Smith", nous indique-t-elle. Ses enfants relevant de la MDPH (Maison départementale pour les personnes handicapées), ils sont éligibles à un accompagnement scolaire et à une aide financière.>> ENQUETE. Doctolib : certaines données médicales ne sont pas entièrement protégées Carole signale l’incident à Doctolib le 21 juin 2022, et dépose plainte, dans la foulée, auprès du parquet de Montpellier. Elle alerte aussi son psychiatre habituel, le docteur P., qui comprend vite qu’elle a eu affaire à un faux médecin. Le praticien, voyant que le profil du Docteur Cantat et Laura Smith est toujours en ligne, décide lui aussi de s'adresser à la plateforme. Doctolib lui répond alors (voir ci-dessous) que la procédure d’inscription "débute en premier lieu par une vérification d’identité. Puis un délai de 15 jours est octroyé aux professionnels de santé afin de réceptionner les pièces justificatives dans le cadre d’une vérification du droit d’exercer". Les "docteurs" David Cantat et Laura Smith ont donc pu donner des consultations via Doctolib alors qu’ils étaient "en cours d’installation" sur la plateforme. Le Conseil départemental de l’ordre des médecins de l’Hérault a déposé plainte Cette affaire a interpellé le Conseil départemental de l’ordre des médecins de l’Hérault, qui a également déposé plainte à Montpellier. "De façon évidente, aucun contrôle préalable n’a été entrepris", explique le président du conseil départemental, le docteur Philippe Cathala. "La moindre des choses serait de faire les vérifications avant l’inscription [sur Doctolib, NDLR]". Interrogé, Doctolib reconnaît ce "délai de 15 jours" pendant lequel un médecin peut utiliser la plateforme sans que son droit d’exercer n’ait été vérifié. Mais Doctolib ajoute : "Depuis que nous avons eu connaissance de cette affaire, nous travaillons à renforcer nos procédures de contrôle de telle sorte qu’aucun praticien ne puisse utiliser nos services tant que son identité et son droit d’exercer n’ont pas été vérifiés". Le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) rappelle qu’il existe une façon simple de savoir si un médecin a le droit d'exercer. Tous les praticiens sont référencés sur le site internet du CNOM via, notamment leur numéro RPPS, un matricule donné à chaque médecin en début de carrière. Sans ce numéro, un médecin n’a pas le droit d’exercer. Capture d’écran du site internet du CNOM où les médecins sont référencés. (GERALDINE HALLOT / CELLULE INVESTIGATION DE RADIO FRANCE) Interrogée, Doctolib confirme cette affaire mais nous répond que depuis qu'elle en a eu connaissance, les contrôles ont été renforcés. Jeudi 25 août 2022, Doctolib a publié un communiqué de presse sur le "renforcement des procédures de vérification des professionles référéncés", indiquant que, dorénavant, un médecin ne peut plus proposer de consultations sur la plateforme avant que son droit d'exercer n'ait été vérifié.  Doctolib souhaite également clarifier le contenu "des fiches des praticiens non réglementés en mentionnant de manière explicite qu’ils ne sont pas des professionnels de santé". Ces derniers représentent 3% des praticiens présents sur la plateforme, et 0,3% des rendez-vous pris.

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