En Inde, les livreurs de repas brisent le silence sur leur condition proche de l'esclavage
L’entreprise Zomato, le Deliveroo indien, est sous le feu des critiques. En Inde, les inégalités sont marquées et font partie intégrante de la société, aussi en faut-il donc beaucoup pour que la classe moyenne s’émeuve du sort des petits travailleurs en bas de l’échelle sociale. Mais depuis deux semaines les internautes réagissent à des témoignages de livreurs de repas traités comme des esclaves publiés sur Internet. Par peur de perdre leur seul emploi s’ils se plaignent, ils préfèrent rester anonymes.
Huit euros pour douze heures de livraison
"Je gagne environ huit euros par jour pour douze heures de livraison, explique ainsi sur Youtube un premier livreur. Mais avec la montée des prix du pétrole, presque la moitié part dans l’essence !" "Les clients demandent des cigarettes ou des préservatifs avec leur repas, sous peine de nous mettre une mauvaise note", déplore un autre, toujours sur Youtube. Un autre raconte sur Twitter les algorithmes louches dans l’application, comme davantage de commandes pour les livreurs les plus rapides, ce qui incite à prendre tous les risques sur les dangereuses routes indiennes. Ces problèmes sont similaires à ceux rencontrés en Europe par les livreurs indépendants, mais de façon exacerbée.
En Inde, le droit du travail, déjà faible, devient inexistant lorsqu’il s’agit de travailleurs numériques. Or il s’agit d’une masse salariale énorme : en quelques années - et cela a été amplifié par la pandémie et les confinements - la classe moyenne indienne est devenue accro aux applications de livraison. Zomato, à elle seule, fait appel à 200 000 livreurs. Swiggy, son concurrent direct, en emploie 160 000. Zomato est par ailleurs une fierté indienne dans l’économie numérique : la start-up a, en une dizaine d'années, dépassé les dix milliards de dollars de valorisation et est présente dans 19 pays. Mais les travailleurs profitent peu de cette réussite…
Zomato dément
Le géant indien de la livraison a réagi à la polémique et contredit ces témoignages chocs, affirmant par exemple qu’un livreur à plein temps gagne en moyenne 250 euros par mois ou que les prix de l’essence ont été pris en compte. Zomato vient par ailleurs de sortir une campagne de publicité censée mettre à l'honneur ses travailleurs. On y voit des livreurs qui se retrouvent face à des stars mais préfèrent s’éclipser par sens du devoir pour travailler plus… Une campagne mal sentie qui a eu l’effet inverse : on lui a reproché de glorifier l’exploitation des livreurs.