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De la dignité d’accueillir les migrants à la crise de Lampedusa, six ans de revirements français

POLITIQUE MIGRATOIRE Alors que le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, a annoncé mardi soir que la France n’accueillerait aucun des migrants arrivés ces derniers jours à Lampedusa, France 24 revient sur six années de revirements de l’exécutif français sur la question migratoire. Des migrants rassemblés sur le pont du navire de sauvetage Ocean Viking, en mer Méditerranée, près des côtes de la Sicile, le 6 novembre 2022. La France "n'accueillera pas de migrants" venus de l’île italienne de Lampedusa. "La France veut une position de fermeté. Ce n'est pas en accueillant plus de personnes que l'on va tarir un flux qui évidemment touche nos capacités d'intégration", a affirmé, mardi 19 septembre sur TF1, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Une position dans l’air du temps puisque l’exécutif français, à commencer par le président de la République Emmanuel Macron, a décidé de faire de l’immigration un thème majeur de la rentrée politique en évoquant ces dernières semaines un possible référendum sur cette question. Personne ne sait encore si ce référendum aura bien lieu et quelle question précise pourrait bien être posée. Une incertitude qui colle finalement assez bien avec les hésitations françaises vis-à-vis des migrants, l’exécutif multipliant les revirements depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée en 2017. Retour sur six années de déclarations et d’actes contradictoires en matière d’accueil des migrants. Alors candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron publie une tribune dans Le Monde, le 2 janvier 2017, dans laquelle il fait l’éloge de la chancelière allemande Angela Merkel, qui a pris la décision lors des années précédentes , à rebours de la plupart des pays européens, d’accueillir de nombreux migrants sur son sol. "Quand l’Italie affrontait seule l’arrivée des réfugiés à Lampedusa, au point que le pape François s’en est vivement ému, ni la France ni l’Allemagne n’ont été au rendez-vous, écrit Emmanuel Macron. De même, les Grecs ont longtemps été en première ligne, démunis et dépassés, face à l’afflux de réfugiés et de migrants. Pour autant, la chancelière Merkel et la société allemande dans son ensemble ont été à la hauteur de nos valeurs communes ; elles ont sauvé notre dignité collective en accueillant des réfugiés en détresse, en les logeant, en les formant." Devenu président, Emmanuel Macron précise sa vision de l’accueil des migrants, et en particulier des demandeurs d’asile, lors d’un discours prononcé le 27 juillet 2017 à Orléans. "Je ne veux plus, d'ici la fin de l'année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus, déclare-t-il. C'est une question de dignité, c'est une question d'humanité et d'efficacité là aussi. Mais je veux que partout où sont construits ces hébergements d'urgence qui permettent de les accueillir, il y ait les dispositions administratives qui permettent de traiter leur dossier." Plusieurs dizaines de milliers de migrants dorment toujours dans les rues en 2023, selon la Fondation Abbé Pierre. L’été 2018 est marqué par des disputes diplomatiques impliquant notamment la France et l’Italie au sujet de l’Aquarius, un navire affrété par l’association SOS Méditerranée qui effectue des missions de recherche et de sauvetage en haute mer, sauvant la vie de nombreux migrants naufragés. Tout commence au mois de juin lorsque l’Italie refuse d’accueillir l’Aquarius et les 629 migrants à son bord. Emmanuel Macron critique alors "le cynisme et l’irresponsabilité du gouvernement italien", qui refuse de laisser le navire accoster, mais n’accepte pas de le recevoir pour autant. Après une semaine d’errance, l’Aquarius peut finalement accoster en Espagne le 17 juin, avant de faire escale à Marseille. Sur les 629 migrants, 78 sont accueillis en France. Quelques semaines plus tard, le 25 septembre, l’Aquarius est à nouveau refoulé par la France, alors que 58 migrants se trouvent à bord. C’est Malte qui accepte cette fois-ci d’accueillir les migrants, mais pas l’Aquarius qui doit rester au large. Et si la France se résout finalement à recevoir 17 de ces migrants, c’est bien la position de fermeté et le refus de laisser accoster l’Aquarius qui marque alors les esprits. Le premier ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron fait voter durant l’été 2018 une loi Asile et Immigration critiquée par l’ensemble des associations venant en aide aux migrants. Parmi les mesures pointées du doigt, l’allongement de la période de rétention des personnes en situation irrégulière de 45 à 90 jours, la possibilité de placer des enfants en centre de rétention et la réduction par deux du délai de recours des demandeurs d’asile déboutés. Le texte controversé divise la majorité présidentielle – plus d’une dizaine d’entre eux s’abstiennent au moment du vote et un député vote contre – et suscite même l’ire de Jacques Toubon, ancien ministre de droite devenu Défenseur des droits, qui estime dans un entretien au Monde, en février 2018, que le demandeur d’asile est "mal traité" par le projet de loi. Le Premier ministre Édouard Philippe annonce un nouveau plan immigration le 6 novembre 2019 qui entend combattre ce que le gouvernement appelle le "tourisme médical". La couverture médicale offerte aux migrants attire de nombreux migrants vers la France, selon l’exécutif, qui choisit de durcir les conditions d’accès. Ainsi, pour les demandeurs d’asile, un délai de carence de trois mois est instauré pour avoir droit à la protection universelle maladie (PUMa) – sauf pour les mineurs –, tandis que les étrangers bénéficiant de l’aide médicale d’État (AME) voient la liste des soins pris en charge être réduite. Plusieurs centaines de migrants sont violemment évacués de la place de la République dans la soirée du 23 novembre 2020, quelques jours après le démantèlement d’un camp de 2 000 migrants à Saint-Denis, au pied du Stade de France. L’opération parisienne donne lieu à des violences des forces de l’ordre contre les migrants qui poussent le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à réagir. "Certaines images de la dispersion du campement illicite de migrants place de la République sont choquantes", écrit-il sur Twitter (désormais X), tout en annonçant une enquête de l’IGPN. "On ne répond pas à la misère par la matraque. La mise à l'abri des migrants du campement de Saint-Denis restés à la rue est urgente, indispensable, indiscutable. Il en va de l'honneur de la République française", réagit Delphine Rouilleault, directrice générale de France terre d’asile, dont l’association critique par ailleurs depuis plusieurs années le traitement des migrants installés à Calais. Quand les tentes ne sont pas lacérées par la police, c’est en effet la "jungle" elle-même qui est purement et simplement démantelée à l’aide de bulldozers. Alors que la France procède au rapatriement de ses ressortissants après le retour au pouvoir en Afghanistan des Taliban, le 15 août 2021, Emmanuel Macron déclare qu’il est du "devoir" et de la "dignité" de la France de protéger "les Afghans qui ont travaillé pour la France" (interprètes, chauffeurs, cuisiniers, etc.). Mais le président de la République prévient également que l’Europe devra "se protéger contre des flux migratoires irréguliers importants". Une phrase que condamne la gauche et les associations humanitaires qui y voient un manque d’empathie avec la situation vécue alors par les Afghans. Lors des semaines qui suivent, la France est accusée de ne pas en faire assez, notamment vis-à-vis des interprètes et des femmes afghanes. Au total, 2 600 Afghans sont évacuées vers la France contre 8 000 au Royaume-Uni et plus de 4 000 en Allemagne. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, provoque le départ de nombreux Ukrainiens sur les routes vers l’Europe de l’Ouest. La France ouvre rapidement ses frontières aux réfugiés et dépense 500 millions d’euros pour leur accueil. Résultat : ils sont plus de 110 000 à arriver sur le territoire français en un an, dont 80 % de femmes, selon les chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur le 24 février 2023, à l’occasion de l’anniversaire du début du conflit. Les associations d’aide aux migrants applaudissent, mais y voient également un deux poids, deux mesures par rapport à l’accueil réservé aux migrants en provenance du Sud. "On est très contents que ça puisse se passer ainsi pour les Ukrainiens, mais on a trouvé tout cela d’une injustice incroyable. Quand ce sont des Africains ou des Afghans, on nous dit qu’il n’y a pas de place pour les héberger et ils dorment à la rue. Par contre, quand ce sont des Ukrainiens, des personnes auxquelles on peut s’identifier, on ouvre des centres d’hébergement", regrette notamment Yann Manzi, fondateur de l’association Utopia 56, dans Libération. Quatre ans après l’Aquarius, le nouveau navire affrété par SOS Méditerranée, l’Ocean Viking, se retrouve à son tour au centre d’une crise diplomatique entre la France et l’Italie. Alors que la nouvelle Première ministre italienne, Giorgia Meloni, refuse de laisser le bateau, qui transporte 234 migrants, accoster dans un port italien, le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, annonce, le 10 novembre 2022, que la France accueillera "à titre exceptionnel" l’Ocean Viking à Toulon. Le ministre, qui annonce qu’un tiers des migrants à bord seront accueillis en France, juge "incompréhensible" la décision italienne et critique un "comportement qui est contraire au droit international et contraire à la solidarité et aux engagements" pris par Rome. En revanche, Gérald Darmanin en profite, en signe de protestation, pour suspendre le transfert en France de quelque 3 500 migrants arrivés sur le sol italien – un transfert prévu dans le cadre d'un accord de répartition au niveau européen. À l’image de ces nombreux changements de pied, le gouvernement français compte relancer à l’automne l’examen de son projet de loi Immigration, initialement prévu pour le début de l’année. Le texte entend notamment faciliter l’éloignement des étrangers "qui représentent une menace grave pour l’ordre public", mais aussi régulariser les sans-papiers travaillant déjà en France dans des métiers en tension.

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