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D-Day : la famille du vétéran Léon Gautier dit stop au business mémoriel

Débarquement de Normandie Les descendants de Léon Gautier, dernier représentant du commando Kieffer décédé l'an dernier, ont décidé de faire appel à un avocat pour éviter toute utilisation abusive et commerciale de son image. À l'approche du quatre-vingtième anniversaire du Débarquement, les sollicitations se multiplient, et nombre d'entre elles sont surtout motivées par l'appât du gain. Le vétéran Léon Gautier, lors d'une cérémonie en hommage aux 177 fusiliers marins du commando Kieffer, le 6 juin 2019, pour le 75e anniversaire du Débarquement, à Colleville-Montgomery. Son visage souriant et espiègle était familier des Français. Jusqu’à son décès en juillet 2023, Léon Gautier était devenu l’incarnation des derniers vétérans tricolores de la Seconde Guerre mondiale. Une cérémonie d’hommage national présidée par Emmanuel Macron lui avait même été consacrée en tant qu’ultime combattant du commando Kieffer, l’unique bataillon français à avoir participé, le 6 juin 1944, au débarquement de Normandie. Ce parcours hors du commun et ce nom désormais connu suscitent aujourd’hui des convoitises, comme le révèle France Bleu. Moins d’un an après sa disparition, sa famille a dû prendre des mesures pour protéger son image. "Nous avons pris un avocat spécialisé dans la protection de la personnalité", explique à France 24 son petit-fils Gérard Wille. "Tout s’est accéléré après la parution de fausses biographies consacrées à mon grand-père avec des éléments qui étaient complètement incohérents et non vérifiés. Et tout cela diffusé sans l’autorisation de la famille." Des fausses biographies rédigées par une intelligence artificielle En décembre dernier, Gérard Wille découvre avec stupeur que deux livres en vente sur Amazon racontent l’histoire de son grand-père, mais avec de nombreuses imprécisions. Le béret vert du commando Kieffer y est décrit comme un résistant, alors qu’il faisait partie des Forces Françaises libres. Les auteurs y évoquent sa captivité en Allemagne, alors que Léon Gautier est décédé paisiblement à l’âge de 100 ans, sans jamais avoir été fait prisonnier. L’un de ces ouvrages a même été publié le 5 juillet 2023, soit deux jours après la mort du fusilier marin. Une rapidité d’écriture qui laisse penser qu’il a été rédigé par une intelligence artificielle qui ne s’est pas préoccupée de la véracité des faits relatés. "J’ai eu de la peine pour ces gens-là", décrit son petit-fils. "C’est pitoyable. Je ne pouvais pas laisser passer cela." La famille a réussi à faire retirer ces deux ouvrages de la vente, mais à l’approche du quatre-vingtième anniversaire du Débarquement, Gérard Wille a reçu d’autres demandes problématiques : "Certains veulent faire des figurines, des posters ou encore des tee-shirts avec la photo de mon grand-père. On peut imaginer que lors des commémorations, il y aura ce genre de chose en vente sur la place publique. J'ai même vu que sa signature se vendait à 300 euros sur Internet. C’est faire de l’argent et du business avec l’histoire de nos parents." L'un des 177 Français du Jour J L’histoire de Léon Gautier a en effet tous les ingrédients pour plaire aux passionnés de la Seconde Guerre mondiale. Rien ne prédestinait ce jeune breton à une telle trajectoire. Né à Rennes le 27 octobre 1922, il est apprenti carrossier lorsque la guerre éclate en 1939. Le jeune homme ressent l’impérieuse nécessité de s’engager et rejoint sans hésitation la marine dès février 1940 – à l’époque, il s'agit de la seule composante des forces armées recrutant des soldats aussi jeunes. Canonnier à bord du cuirassé Courbet, il prend part à la défense de Cherbourg en bombardant la route de Carentan lors de l’invasion allemande. Lorsque sonne l'heure de la défaite, les officiers choisissent de mettre le cap sur l'Angleterre.  Réfugié dans un camp de marins français à Sheffield, près de Liverpool, il apprend à la radio, avec quelques camarades, que le général de Gaulle vient de créer la France libre pour continuer la lutte sous le drapeau français. "Bien sûr, je me suis engagé", avait raconté le vétéran dans un entretien accordé à France 3 Normandie. Il participe alors au défilé du 14 juillet 1940 à Londres, en présence du général de Gaulle et de George VI. Plus tard, il est envoyé dans l’Atlantique à bord du Gallois avant de rejoindre le 2e bataillon de fusiliers marins dans son périple africain, jusqu’en Syrie et au Liban. À l’été 1943, il rallie, avec de nombreux membres de cette unité, les commandos de Philippe Kieffer et s'entraîne à Achnacarry, en Écosse. Fin mai 1944, tout comme ses autres compagnons de navigation, il est mis dans le secret des préparatifs du débarquement de Normandie. Le 6 juin 1944, avec ses 176 frères d'armes français du 1er bataillon de fusiliers marins de la France libre, il débarque avec la première vague d’assaut sur Sword Beach, à Colleville-Montgomery. La mission du bataillon français dirigé par Philippe Kieffer est double : reprendre le casino d’Ouistreham, transformé en forteresse par les Allemands, et rejoindre les troupes de la 6e division aéroportée à Bénouville. Objectif atteint : en moins de quatre heures, l’unité française libère 1,8 kilomètre de plage. Léon Gautier finit par se blesser accidentellement à la cheville lors d’un nouveau séjour en Angleterre en septembre 1944, et se retrouve contraint de quitter les commandos. Démobilisé après la guerre, il épouse Dorothy Banks, une Britannique du corps des transmissions rencontrée outre-Manche, avec qui il aura deux enfants. "C’était un peu devenu la vedette" Après une carrière comme expert automobile, il se consacre durant sa retraite à la reconnaissance des engagés de la France libre. De toutes les cérémonies, il est peu à peu devenu un personnage incontournable. L’historien Benjamin Massieu, spécialiste du commando Kieffer, n’est donc pas étonné par cette récupération commerciale : "Déjà du vivant de Léon, il fallait faire un cordon de sécurité autour de lui tellement il y avait de gens qui voulaient une photo avec lui. C’était un peu devenu la vedette. Aujourd’hui, certains savent que Léon fait vendre." Pour l’auteur du livre "Les Français du jour J" (éditions Pierre de Taillac), ce phénomène n’est pas nouveau, mais il constate un manque grandissant de sérieux autour des commémorations, voire une forme d’amusement. "Parmi les reconstitueurs notamment, il y a ceux qui vont le faire avec un très grand sérieux et ceux qui sont là pour se déguiser." En 2020, l’annonce d’un projet de parc touristique consacré au Débarquement avait également suscité une vive polémique. "On avait bien vu que les objectifs étaient avant tout commerciaux, même s’ils essayaient de faire passer ça comme un bel hommage aux héros. Il était financé par un fonds d’investissement américain qui ne fait pas ça pour la beauté du geste, mais pour récupérer sa mise", estime l’historien. À l’époque, Léon Gautier s’était personnellement opposé à ce projet, se déclarant "indigné" par ce "Disneyland sur la mort de gens qui ont donné leur vie pour la France". Pour autant, son petit-fils ne voit pas tout en négatif. Même s’il est désormais prêt à aller en justice pour bloquer tout usage abusif de l’image de son grand-père, il reçoit aussi des propositions intéressantes. "Il y a des demandes par exemple pour que son nom soit attribué à des promotions dans des écoles ou pour des militaires." Lui-même béret vert, cet officier est devenu le gardien de la mémoire de son aïeul, mais aussi de tous les hommes du commando Kieffer : "C’était la dynamique de mon grand-père. Il voulait transmettre ce qu’il s’était passé, les faits et la réalité. Il ne faut pas que cela parte dans l’oubli, mais il ne faut pas faire n’importe quoi. Je suis là pour protéger l’histoire de mon grand-père, mais aussi, avec l’aide des autres familles, celles de ses 176 frères d’armes."

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