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Économie et marchés

"CumEx Files" : Hanno Berger, le cerveau présumé du scandale aux 140 milliards d'euros

Publiées jeudi, de nouvelles révélations sur l’étendue du scandale "CumEx", fraude fiscale tentaculaire, démontrent qu’une douzaine de pays dans le monde ont perdu 140 milliards d’euros à cause de montages financiers complexes. Au cœur de cette affaire : Hanno Berger, un avocat allemand, surnommé "Dr CumEx". Trois ans plus tard et près de trois fois plus cher. La facture du scandale financier "CumEx", dévoilé pour la première fois en 2018, s’est considérablement alourdie pour passer de 55 milliards d’euros à 140 milliards d’euros, d’après de nouvelles révélations sur l’étendue de cette affaire de fraude fiscale publiées par le site d’investigation allemand Correctiv en partenariat avec une trentaine d’autres médias dans le monde, jeudi 21 octobre. Le scandale CumEx désigne des montages financiers réalisés pendant des années – et potentiellement encore aujourd’hui, d’après Correctiv – par des super-riches du monde entier, avec l’aide de banquiers et d’avocats pour éviter de payer des fortunes au fisc. Plus de 30 milliards d’euros perdus pour le fisc français En France, ce sont 33 milliards d’euros perdus par le fisc ces 20 dernières années, affirme le quotidien Le Monde, qui a participé à cette enquête. En Allemagne, où l’affaire des CumEx est considérée comme le "scandale financier du siècle", 36 milliards d’euros de recettes fiscales manquent à l’appel, ont calculé des spécialistes de la fiscalité à l’université de Mannheim ayant participé à cette enquête. Le scandale touche aussi les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Belgique ou encore les Pays-Bas. Ces nouvelles révélations viennent mettre la pression sur la Suisse qui détient, depuis juillet 2021, un personnage clé de l'histoire, en attente d'extradition. L’avocat fiscaliste Hanno Berger. Plus connu en Allemagne en tant que "Mister CumEx" ou "Dr CumEx", il est considéré comme l’architecte des tours de passe-passe qui ont permis depuis le milieu des années 2000 à des riches contribuables d’économiser des centaines de millions d’euros en impôts… et même de piocher dans les caisses de l'État. L’affaire CumEx concerne en effet deux types de montages complexes. Le premier – baptisé CumCum – permet d’échapper en grande partie à l’impôt sur les dividendes. Il s’agit pour un propriétaire d’actions d’entreprises de "prêter" ses actions à une banque complice quelques jours avant d’avoir à payer les taxes sur les dividendes (les dividendes sont la rémunération annuelle des actions). Ainsi, quand le fisc vient frapper à la porte du contribuable, ce dernier peut affirmer qu’il n’a rien à payer. La banque, quant à elle, peut arguer qu’elle n’est qu’un simple intermédiaire. En bout de course, tout ce petit monde prétend ne rien devoir au fisc, qui se retrouve privé de précieuses ressources. Exil dans les Alpes suisses C’est de très loin la pratique la plus courante dans cette histoire mais, en Allemagne, ce sont les CumEx – l’autre montage – qui ont le plus défrayé la chronique. Et Hanno Berger en est devenu l’incarnation vivante. Il ne s’agit plus seulement d’échapper à l’impôt sur les dividendes, mais d’obtenir, en plus, le remboursement d’une partie de cet impôt pourtant jamais versé, en exploitant des failles du système fiscal ! La justice allemande a commencé à s’intéresser à Hanno Berger bien avant les premières révélations de 2018. Le 27 novembre 2012, ce fiscaliste décide en urgence de partir s’installer à Zuov, un village typique de 1 200 habitants des Alpes suisses. Le même jour, les autorités allemandes organisent une descente au cabinet de conseil que cet avocat avait créé pour aider ces riches clients à économiser des millions sur le dos des contribuables allemands. Cela fait donc près d’une décennie que Hanno Berger, aujourd'hui âgé de 70 ans, nargue la justice depuis l’autre côté des Alpes, où il a longtemps été à l’abri. La Suisse traîne en effet souvent les pieds pour extrader les contribuables qui ont maille à partir avec l’administration fiscale de leur pays. Mais même les Helvètes ont dû reconnaître que les charges qui pesaient contre Hanno Berger étaient trop lourdes et que les autorités suisses avaient tout à perdre à le protéger. Ce dernier est accusé, dans le mandat d’arrêt international établi contre lui en janvier 2021, d’être l'unique "Spiritus Rector", c’est-à-dire le cerveau d'une opération qui, entre 2007 et 2011, a coûté 391 893 343 euros et 90 centimes. Il n’est pas seulement accusé de fraude. Hanno Berger est aussi soupçonné d’avoir trafiqué les comptes de certains clients, et d’en avoir trompé d’autres en utilisant leur argent pour des montages financiers dont il était le principal bénéficiaire. En tout, il aurait gagné, à lui seul, environ 27 millions d’euros en jouant au grand jeu des CumEx. Malade imaginaire ? Il aurait aussi tenté de verser des pots de vin à plusieurs politiciens allemands au début des années 2010 pour éviter le vote d'une loi qui rendrait la fraude encore plus complexe. Les autorités allemandes l’accusent même d’avoir échangé une partie de ses gains en lingots d’or puis de les avoir fait passer discrètement, par camion, en Suisse, peu avant de s’installer à Zuov. "Pour les enquêteurs, c’est le signe qu’il avait pris des dispositions pour avoir des fonds rapidement mobilisables s’il avait besoin de fuir plus loin", explique le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. Hanno Berger a toujours nié l’existence de cet or. Le septuagénaire conteste d’ailleurs toutes les accusations contre lui. Depuis 2018, il a répété à de multiples reprises dans les médias allemands que toute la procédure reposait sur du vent, que c’était n’importe quoi et qu’en tant qu’"homme de loi", il avait hâte de s’expliquer devant un tribunal. Mais début 2020, lorsqu’il a été convoqué par la justice, il est subitement tombé très malade, a assuré sa défense, attestation d'un médecin à l'appui. Vu l’état de leur client, ses avocats demandaient aux autorités allemandes de "clore" le dossier. En réponse, la justice allemande a proposé d’envoyer un autre médecin pour un second avis. Mais Hanno Berger n’a jamais donné suite, rappelle le quotidien Handelsblatt. Hanno Berger a aussi argué qu’il devait, en raison de sa maladie, être libéré dans l’attente de son extradition vers l’Allemagne. Sa vie serait même en danger s’il restait derrière les barreaux, ont assuré ses avocats. Mais la justice suisse n’a rien voulu entendre. L’hôpital n’a même pas jugé nécessaire de l’accueillir.

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