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Covid-19 en Seine-Saint-Denis : aux côtés de ceux qui ne connaissent pas le confinement

Le bus 351 relie la banlieue est de Paris à l'aéroport international Charles-de-Gaulle, à Roissy. Même en temps de Covid-19, il transporte les travailleurs du fret, les salariés des sous-traitants de l'aéroport, les aides-soignants des établissements de soins de Seine-Saint-Denis... France 24 a suivi ces Français qui se lèvent tôt et qui ne connaissent pas le confinement. Tous les matins, les mêmes visages défilent. Farid les connaît par cœur. Le conducteur du bus 351 reliant la place de la Nation, à Paris, à l'aéroport international Charles-de-Gaulle travaille sur cette ligne depuis deux ans. Mais cette année, avec le Covid-19, il porte un regard particulier sur ses passagers. "Eux comme moi, quoi qu'il se passe, on s'habille le matin et on va travailler. Confinement après confinement, on est là tous les jours. Il faut bien faire tourner le pays." Il dit cela sans amertume. Mais certains jours, le père de famille de 46 ans part conduire son bus la boule au ventre. "Entre chauffeurs, on n'en parle pas, mais certaines lignes sont plus 'à risques' que d'autres." La 351 en fait partie, elle dessert cinq communes de Seine-Saint-Denis, département qui subit de plein fouet cette troisième vague de Covid-19. Avec un taux d'incidence de 801 cas pour 100 000 habitants, la Seine-Saint-Denis est le département le plus touché en France par la pandémie, après le Val-d'Oise, et aussi l'un des plus endeuillés avec plus de 2 044 morts du coronavirus recensés dans les hôpitaux depuis mars 2020. Il est 6 h 30 et les passagers montent dans le bus. La place de la Nation est encore baignée par la nuit et le ronronnement des voitures de nettoyage qui lustrent les trottoirs parisiens. Un jeune homme entre sans le masque. "Ça arrive mais je ne suis pas là pour faire la police", dit Farid. "Parfois, je tends un des masques de ma réserve personnelle, fournie par la RATP, et je ne parle même pas. En général, ça se passe bien. Sinon, j'ai un bouton qui déclenche une annonce préenregistrée pour rappeler le respect des consignes." Ce matin-là, le chauffeur laisse couler. "À l'Ehpad, la moitié des résidents sont morts au printemps" Dans le véhicule, Betty, 55 ans, s'est installée près de la porte de sortie. Elle se rend dans un Ehpad de Bondy, où elle est aide-soignante. Après avoir pris un premier bus depuis Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), puis le tramway, elle termine son long trajet par ce dernier tronçon. "Une heure et demie de transports, ça fait beaucoup. Surtout quand le bus est bondé comme tout à l'heure à Vitry, mais je n'ai pas le choix", confie-t-elle, emmitouflée dans la capuche de sa doudoune. "J'ai déjà eu le Covid l'année dernière et j'ai peur de l'attraper encore. À l'Ehpad, la moitié des résidents sont morts au printemps. Seulement deux à mon étage, mais à celui du dessous, ils sont tous décédés." Betty est encore marquée. Pourtant, elle redoute de se faire vacciner : "Personne ne m'y oblige ! La plupart de mes collègues ont reçu les doses, moi j'attends le Johnson & Johnson parce que je ne veux pas être piquée deux fois." "C’est un miracle que j’aie encore mon job !" À partir de la station de métro de Gallieni, située à Bagnolet, le bus s'engouffre sur le territoire de la Seine-Saint-Denis et l'arrière du véhicule se remplit. Une dizaine de passagers prennent place, dont Moussa, en bleu de travail. Il est cariste au fret de l'aéroport depuis quinze ans. "Je ne peux pas télétravailler, moi je manie les transpalettes", raconte-il, encore ensommeillé. Son épouse, au chômage, garde ses deux fils de 11 et 13 ans, dont le collège a fermé en raison du confinement en vigueur depuis le 6 avril. "Quand le RER B est en travaux le week-end, ce bus est plein, mais aujourd’hui, ça va. De toute façon, je suis bien obligé de le prendre, je n’ai pas de voiture", poursuit le quadragénaire. Peu de gens sont tombés malades autour de Moussa, mais la pandémie l’inquiète parce qu’il s’approche des 50 ans. "Ça me fait mal au cœur de voir tous ces avions cloués au sol", ajoute-t-il. "Des collègues de l’aéroport ont perdu leur emploi, tous ceux qui préparaient les plateaux-repas pour les avions et qui faisaient le ménage à bord." À quelques sièges de là, Franck, employé à la direction commerciale d’une grande compagnie aérienne, lève à peine les yeux de son téléphone. "C’est un miracle que j’aie encore mon job ! Et qu’on ne me dise pas que la reprise, c’est demain, il faudra au moins trois ou quatre ans avant que l’aérien s’en remette", estime-t-il. Ce cadre de 48 ans prend le bus jusqu’au terminal 1 de Roissy, où il doit sauter dans un avion en direction de Riyad, en Arabie saoudite, pour un voyage d'affaires. Scotché à son smartphone, il tente en vain de charger les résultats de son test PCR négatif au Covid-19, mais la connexion lui fait défaut. "J’ai raté mon avion hier parce que le laboratoire n’avait pas publié les résultats à temps", s'emporte-t-il. Habitant de la banlieue est, il est habitué de ce trajet de bus, mais depuis quelque temps, il n’en peut plus. "Je suis effaré par l’irrespect de ceux qui portent leurs masques sous le nez et sous le menton. Je veux bien accepter de restreindre mes libertés, mais tout le monde doit suivre la même règle", lance-t-il avant de descendre en vitesse. "Laisser les transports aux personnes qui n’ont pas d’autre choix" "Je laisse facilement passer un ou deux bus si j’estime qu’il y a trop de monde", admet quant à lui Laurent, gestionnaire de pièces détachées dans une entreprise de fabrication de composants pour l’aéronautique. À l’essai dans cette société, il envisage de s’acheter une voiture pour faciliter ses déplacements. "Je prends facilement 20 à 40 minutes d’avance pour me laisser le choix dans mon trajet. Le masque n’est pas suffisant. J’ai 46 ans et je suis en forme. Je tiens à le rester. Donc je refuse de me coller aux autres passagers." Assis au fond du bus, Denis, 22 ans, est du même avis : "Je pars une demi-heure plus tôt pour éviter l’heure de pointe", raconte le jeune technicien en charge du montage des ascenseurs sur le chantier du terminal 2 de l’aéroport. "Ceux qui peuvent télétravailler devraient le faire pour laisser les transports aux personnes qui n’ont pas d’autre choix", estime cet habitant du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis). Les chiffres officiels lui donnent raison. En France, le télétravail reste trop peu utilisé, regrettait la semaine dernière le ministère du Travail. Quelque 35 % des actifs qui pourraient télétravailler ne le font pas. Au terminus de Roissy, Farid descend prendre un café avant de repartir dans l'autre sens, direction Paris. De lui-même, il laisse son bus portes ouvertes "pour aérer" : entre deux services, son véhicule de transport n'est pas désinfecté. "La désinfection, ça n'est que la nuit entre minuit et 6 heures du matin", regrette-t-il. "On n'est pas à une aberration près. Moi, j'ouvre les fenêtres et les passagers les referment parce qu'il pleut ou qu'il fait trop froid." La RATP a aussi retiré les parois de séparation, légion durant le premier confinement. Ces Plexiglas permettaient d'isoler totalement le conducteur de l'air ambiant. "Je ne comprends pas pourquoi ils ont arrêté ce cloisonnement, au moment même où on dit que les variants sont plus contagieux", s'interroge Farid. Craignant une hausse des contaminations chez les chauffeurs, le syndicat CGT RATP s'était inquiété de ce changement, ainsi que du rétablissement de la vente de tickets à bord, obligeant les conducteurs à manipuler de la monnaie. Il avait appelé à faire grève en février. "J'avoue avoir été soulagé à l'annonce de la fermeture des établissements scolaires. Il fallait le faire", confie Farid, dont la ligne 351 dessert sur le chemin du retour les lycées de Bondy, l'une des 14 villes en France d'au moins 10 000 habitants où le taux de contamination au Covid-19 dépasse la barre des 1 000 cas. Sur son trajet, il y a aussi le lycée Delacroix de Drancy, devenu tristement célèbre depuis que 20 parents d'élèves sont décédés du coronavirus. "J'aime rendre service et ils n’y sont pour rien, mais ces derniers temps, avec les lycéens à bord, c'était pesant. Je ne disais rien, je mettais mon bonnet et je gardais la fenêtre ouverte pour assurer le service."

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