Coupe du monde de rugby : le tirage au sort de la discorde
Quarts de finale
La phase finale de la Coupe du monde de rugby débute ce week-end avec quatre quarts de finale prévus les 14 et 15 octobre. Deux matches voient s’opposer les quatre meilleures équipes mondiales et les deux autres rencontres réunissent des équipes classées entre la 6e et 9e place mondiale. Un important déséquilibre sportif qui s’explique par la précocité du tirage au sort de cette compétition.
"Beaucoup de choses peuvent changer en trois ans". Comme sur le terrain, l’ouvreur écossais Finn Russell avait eu une bonne inspiration le 14 décembre 2020, jour du tirage au sort de la Coupe du monde de rugby 2023. Il était alors invité à réagir à la présence de l’Écosse dans une poule B très relevée aux côtés de l’Afrique du Sud, de l’Irlande, des Tonga et de la Roumanie.
Plusieurs personnalités françaises se sont présentées ce jour-là sur la scène du Palais Brongniart pour tirer les noms des 20 équipes réparties dans cinq chapeaux, en fonction de leur classement au niveau mondial, le chapeau 1 regroupant les quatre meilleures. Les noms des douze équipes qualifiées étaient alors connus, celles qui avaient terminé aux trois premières places de leurs poules respectives lors de l’édition 2019. Et le créateur Christian Louboutin a été chargé de tirer au sort les quatre équipes du chapeau 3 dans laquelle se trouvait l’Écosse, alors 9e nation mondiale.
Comme le pressentait Finn Russell, beaucoup de choses ont ensuite changé pour l’Écosse, qui a connu une belle progression sportive et s’est installée à la 5e place du classement mondial en février 2023. Une position qui lui aurait permis, au moment du tirage, de figurer dans le chapeau 2 et d'éviter ainsi les équipes occupant les places 6, 7 et 8 du classement mondial. Idem pour l’Irlande qui est passée de la 5e nation mondiale en janvier 2020 à la première en juillet 2022.
Ces variations sportives inévitables alimentent un vif débat depuis 2011 sur la prise en compte du classement mondial pour constituer les différents chapeaux. L’Angleterre en avait ainsi été victime lors de la Coupe du monde 2015 organisée sur son propre sol : le tirage au sort avait été effectué le 3 décembre 2012 et les Anglais, alors cinquièmes mondiaux, s’étaient retrouvés dans une poule difficile avec l'Australie (3e) et le pays de Galles (9e) dont ils n’avaient pas réussi à sortir, ne se qualifiant pas pour la première fois en phase finale d’une Coupe du monde.
Un tirage "injuste" pour Sexton
La polémique a logiquement refait son apparition au moment du tirage au sort de l’édition 2023. L’acteur Jean Dujardin a placé la France dans la poule A quelques minutes avant que le cuisinier Guy Savoy ne fasse de même avec la Nouvelle-Zélande. Interrogé quelques minutes après, Antoine Dupont, qui arborait déjà un beau cocard à l’œil droit, racontait alors que l’un des ses premiers souvenirs de Coupe du monde était le quart de finale entre la France et la Nouvelle-Zélande, en 2007, alors qu’il n’avait que 10 ans.
Seize ans après, Antoine Dupont est le capitaine d’une équipe qui prépare un quart de finale de Coupe du monde contre l’Afrique du Sud, une affiche qui voit s’opposer, selon le dernier classement mondial, les 2e et 3e équipes nations de la planète ovale. Un autre quart de finale offrira, lui, un duel entre la première (Irlande) et la 4e (Nouvelle-Zélande). Dans les deux autres-quarts, les Fidji (8e) défieront l’Angleterre (6e), et l’Argentine (9e) le pays de Galles (7e).
Cette disparité de niveaux suscite de nombreux regrets chez les amateurs de rugby qui savent que deux des meilleures équipes nations de cette compétition vont devoir la quitter ce week-end. Et certains joueurs ont eux-mêmes exprimé leur déception, à l’image du capitaine irlandais Johnny Sexton. "Le tirage au sort a eu lieu il y a trois ans, et paraît injuste aujourd’hui. Mais c’est ainsi, et on devra être prêts pour affronter la Nouvelle-Zélande", a-t-il confié, samedi 7 octobre, après la large victoire de son équipe contre l’Écosse.
Une formule "obsolète" en cours de modification
Consciente de ce manque d’équité sportive, World Rugby, l’instance qui gère le rugby mondial, a annoncé, voilà six mois, son intention de changer les modalités de tirage au sort en vue de la prochaine Coupe du monde. "On utilise les classements mondiaux, ce qui est la meilleure représentation des forces et des faiblesses d'une équipe, mais ça a été fait à un moment qui, comparé à maintenant, peut devenir obsolète", concédait en avril Alan Gilpin, directeur général de World Rugby.
La date du tirage au sort devrait ainsi être reculée. S’il se produisait jusque-là plus de trois ans auparavant, c’était pour permettre aux pays hôtes de bénéficier d’une longue période d’organisation et de commercialisation des billets (2,6 millions pour l’édition 2023). Les supporters des 12 équipes déjà qualifiées connaissaient ainsi très tôt le calendrier de leurs protégés et pouvaient planifier plus facilement leur déplacements. Ce n’est pas le cas pour le Mondial de football ou bien les Jeux olympiques, des compétitions dans lesquelles les supporters achètent souvent des places sans connaître le détail de l’événement auquel ils assisteront.
La Coupe du monde de rugby 2023 devrait donc être l’une des dernières à connaître ces disparités sportives. Certains commentateurs n’ont pas hésité à tirer à boulets rouges sur cette édition française aux allures de "farce". Le mot est notamment utilisé par l’ancien talonneur anglais Brian Moore dans le quotidien The Telegraph. "Je me fiche des considérations pratiques qui président à ce tirage. On peut désormais le considérer comme une gaffe et World Rugby doit trouver un moyen que cela ne se produise plus", écrit Brian Moore. Une erreur dont le XV de la Rose espère bien profiter pour continuer à avancer dans cette compétition, en battant les Fidji le 15 octobre à Marseille.