Cannabis récréatif : Emmanuel Macron enterre tout projet de légalisation
Emmanuel Macron lors de sa visite dans le quartier de La Mosson, à Montpellier, pour défendre sa stratégie sécuritaire, le 19 avril 2021.
Le président de la République s’oppose, dans un entretien au Figaro publié dimanche, à la légalisation du cannabis récréatif et réaffirme sa volonté de lutter contre les trafics. Il enterre ainsi par avance les travaux de la mission parlementaire "cannabis" et promet un grand débat national sur les drogues avant la présidentielle. La confirmation d'un virage sécuritaire alors que certains parlementaires estiment que la légalisation peut combattre plus efficacement le trafic de cannabis.
Il aura fallu une simple interview du chef de l’État pour enterrer tout projet de légalisation du cannabis récréatif. Sans même attendre les conclusions de la mission d’information sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis, dont le rapport final est attendu début mai à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a d’ores et déjà pris position.
"À l’inverse de ceux qui prônent la dépénalisation généralisée, je pense que les stups ont besoin d’un coup de frein, pas d’un coup de publicité", affirme ainsi Emmanuel Macron, lundi 19 avril, dans Le Figaro. "Dire que le haschisch est innocent est plus qu’un mensonge, poursuit-il. Sur le plan cognitif, les effets sont désastreux. Combien de jeunes, parce qu’ils commencent à fumer au collège, sortent totalement du système scolaire et gâchent leurs chances ? Et je ne parle même pas des effets de glissements vers des drogues plus dures."
Contacté par France 24, l’Élysée confirme que le président de la République est opposé à la dépénalisation ou à la légalisation du cannabis récréatif. Il reste ouvert, en revanche, sur la question du cannabis thérapeutique, pour lequel une expérimentation est en cours. "Aujourd'hui, la consommation s’est banalisée et on souhaite sanctionner", ajoute la même source.
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Une ligne en totale opposition avec les futures recommandations de la mission d’information présidée par le député Les Républicains (LR) Robin Reda. Selon nos informations, après avoir souligné les limites de la répression actuellement en cours, celles-ci devraient aller dans le sens d’une légalisation du cannabis récréatif en proposant différents outils pour répondre à différents objectifs comme la fin des trafics ou la prévention.
"Le rapport final de la mission parlementaire sur la réglementation et les usages du cannabis (…) posera les enjeux sanitaires, sécuritaires et économiques dont beaucoup d’États se sont déjà saisis. Pour lutter contre les insupportables trafics de drogue et la consommation inquiétante de cannabis des Français, les électeurs ne se satisferont ni de solutions paresseuses ni de rhétorique martiale", a taclé sur Twitter Robin Reda, qui n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Le rapport des députés fait notamment la part belle à la consultation citoyenne menée sur le site Internet de l’Assemblée nationale en janvier et février. Plus de 250 000 Français ont donné leur avis en ligne, soit le deuxième plus grand total de participants pour une consultation de ce type, après celle menée en février 2019 sur le changement d’heure. Au total, 92 % des sondés considèrent que la loi actuelle n’est pas efficace et 80 % d’entre eux se prononcent pour la légalisation du cannabis récréatif.
"Cela montre d’abord qu’il y a un vif intérêt pour cette question. D'autre part, nous constatons un raz-de-marée sur le constat de l’inefficacité du cadre actuel", souligne la rapporteuse de la mission, la députée La République en marche (LREM) Caroline Janvier, contactée par France 24.
"Nous passons à la vitesse supérieure"
Pourtant, c’est bien la politique du tout répressif que souhaite poursuivre Emmanuel Macron. "Après avoir créé un Office antistupéfiants particulièrement puissant, nous passons à la vitesse supérieure : harceler les trafiquants et les dealers. Sur les 4 000 points de deal répertoriés récemment, plus de 1 000 opérations 'coup de poing' ont été réalisées ces dernières semaines", assure le chef de l’État dans Le Figaro.
"Autre instrument : 70 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre dernier, poursuit-il. Ça veut dire quelque chose de clair : si vous vous faites prendre comme consommateur, vous savez que vous allez devoir payer et que vous n’allez pas y échapper. Ça change le rapport de force."
Le contexte de cette interview n’est pas neutre. Le président de la République effectuait, lundi 19 avril, un déplacement à Montpellier, au côté de son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour montrer son engagement pour une "sécurité du quotidien". Attaqué par Les Républicains et le Rassemblement national sur son bilan sécuritaire, Emmanuel Macron a choisi un quotidien essentiellement lu par un électorat de droite pour aborder l’ensemble des questions liées à la sécurité des Français. Il y affiche sa fermeté, au moment où la France doit faire face, selon lui, "à une forte augmentation des violences sur les personnes".
Or, pour le chef de l’État, insécurité et trafic de drogues sont intimement liés. "Ceux qui prennent de la drogue – et cela concerne toutes les catégories sociales – doivent comprendre que non seulement, ils mettent leur santé en danger, mais qu’ils alimentent aussi le plus grand des trafics. On se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d’insécurité", affirme-t-il.
"La légalisation est la meilleure arme contre les dangers du cannabis"
"Tout cela relève d’un calcul politique, c’est de l’agitation électoraliste", juge sévèrement l’ancien "marcheur" François-Michel Lambert, aujourd'hui député du groupe Libertés et Territoires, membre également de la mission d’information sur les usages du cannabis et auteur d’une proposition de loi sur la légalisation du cannabis récréatif, contacté par France 24.
"Je suis abasourdi par cette méthode qui fait fi du respect du débat démocratique, poursuit-il. Il y a une mission cannabis qui doit rendre ses conclusions. Dix-huit mois de travail, 200 personnes auditionnées. Le CAE (Conseil d’analyse économique) a rendu un rapport, Terra Nova aussi. Mais tout cela n’existe pas pour Emmanuel Macron qui, dans son approche, reste bloqué au XXe siècle alors même que nos voisins avancent sur le sujet."
Le président de la République a toutefois fait part dans Le Figaro de sa volonté de "lancer un grand débat national sur la consommation de drogue et ses effets délétères". Selon nos informations, il ne s’agit pour l’instant que d’un projet qui pourrait être calqué sur le Grand débat national lancé début 2019 au moment de la crise des Gilets jaunes. "Il s’agira d’entamer une réflexion avec les ministres concernés, les élus, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Mais ce sera un débat de société global où toutes les parties pourront avoir leur mot à dire", assure l’Élysée.
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Une initiative à laquelle se raccroche désormais les membres de la mission d’information parlementaire qui veulent encore croire à une légalisation du cannabis récréatif dans les années à venir.
"Ce que je retiens de cette interview, c’est qu’Emmanuel Macron appelle à un débat sur la question, insiste la députée Caroline Janvier. Cela permettra de lever les doutes. Peu de gens savent que cette substance est moins addictive et moins toxique que le tabac et l’alcool. La légalisation est la meilleure arme contre les dangers du cannabis. J’aurai l’occasion de développer nos arguments. Nous verrons bien ce qu’il ressort du débat public."
À condition que celui-ci ait réellement lieu. Car, avec l’élection présidentielle dans un an, un agenda législatif surchargé, la gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19 et la future présidence française du Conseil de l’Union européenne de janvier à juin 2022, difficile de voir à quel moment pourrait se dérouler un tel débat.