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Digital World

Bienvenue dans la matrice : quand l’immersion virtuelle envahit la culture

Si le phénomène est loin d’être récent, il semble devenir de plus en plus prégnant dans l’offre culturelle. Pour attirer le visiteur ou le spectateur, les promesses d’immersion dans une réalité virtuelle se multiplient. S’immerger dans une œuvre… La promesse relève quasiment de la magie même si les prouesses sont autant artistiques que techniques. Mais la raison d’exister des artistes n’est-elle pas de provoquer l’imaginaire, de le pousser toujours plus loin ? Ainsi l’image est sortie de son cadre et devient une matière fluide qui englobe le spectateur ébahi. Il en fait partie intégrale, sollicité par la vue, l’ouïe, voire le toucher et l’odorat. Et "ce n’est pas un gadget", insiste Alexandre Michelin, fondateur du Knowledge Immersive forum (Kif) qui rassemble les innovateurs de toutes les réalités immersives au service de la culture et du savoir. Ces recherches sur la spatialisation sont "à la fois liées aux mathématiques et à la science informatique" et aboutissent à cette "capacité à encapsuler l'espace dans de la géométrie avec des outils électroniques. Au fur et à mesure que la technologie se développe, des créateurs s'en emparent et introduisent des systèmes émotionnels, des systèmes narratifs", explique celui qui préside également la commission des aides aux œuvres immersives ou interactives du CNC (Centre national du cinéma) . Pour lui, ces technologies sont des outils de libération au potentiel considérable, capables "de nous ouvrir l’esprit". Et il l’assure, "on n'en est qu'au début". La danse contemporaine à l'avant-garde En effet, tous les pans de la culture semblent s’emparer du fantasme de l’expérience immersive, des musées au théâtre en passant par la danse contemporaine. Marie-Claude Pietragalla travaille depuis longtemps à intégrer sa danse dans une image animée. C’est encore le cas dans son dernier spectacle, Une femme qui danse [Au théâtre de la Madeleine jusqu’au 31 décembre] où elle retrace sa carrière. Au carrefour de la danse et de la vidéo interactive, Mourad Merzouki plonge aussi ses danseurs dans un univers à la gravité mouvante, grâce à la 3D dans son spectacle Pixel [au 13e Art, jusqu’au 31 décembre]. Blanca Li, elle, est allée bien plus loin. "Inventer le futur" du spectacle vivant est l’idée motrice de la chorégraphe franco-espagnole. Elle propose jusqu’au 16 janvier au Palace à Paris, une expérience immersive Le Bal de Paris qui a remporté le Lion de la "Best VR Experience" à la Mostra de Venise. "L'idée pour moi c'était depuis le départ de faire vraiment un spectacle de danse où il y a tout de normal sauf qu'au lieu que le public s'assoit dans une pièce et regarde le spectacle, il est à l'intérieur et devient interprète avec les danseurs, explique-t-elle. Équipés de casques, de capteurs et d’un backpack, les "invités" par groupe de dix doivent passer au vestiaire virtuel se choisir une tenue signée Chanel, s’il vous plaît, avant de pénétrer sous la forme d’un avatar, dans la salle de bal. "Là, des danseurs interprètent des personnages qui vont nous raconter une histoire. Et ce sont ces personnages-là, ces danseurs qui vont amener le public à travers un voyage dans des univers différents. J'ai créé trois espaces, trois actes, détaille-t-elle. Et à chaque acte, on est dans un décor complètement différent. Donc on va vraiment découvrir tout un monde magique, poétique et assez spécial". >> On a testé pour vous : Le Bal de Paris de Blanca Li vous transporte dans un monde virtuel et magique Une expérience immersive mais pas solitaire Connue pour son avant-gardisme, la chorégraphe s’est toujours servie des nouvelles technologies. Mais avec la réalité virtuelle, elle ressentait "une frustration". Dans l’expérience, elle se sentait "toute seule". "J'existais parce que je voyais des choses mais je n'étais pas là physiquement, explique-t-elle. Donc je voulais créer un monde virtuel dans lequel mon corps existe et où les personnages sont vraiment présents. Ce qui me manquait dans la réalité virtuelle, c'était le côté collectif et le côté festif. " Aboutir à l’expérience du Bal de Paris n’a pas été chose facile, raconte Blanca Li. À chaque idée, elle se voyait répondre un "non, ce n’est pas possible". Mais elle a appris et "réalisé l'impossible", s’enorgueillit-elle, malgré des contraintes techniques encore très présentes : "Être la première à faire un spectacle vivant complètement immersif avec de vrais participants." Le Bal de Paris, une production de la Compagnie Blanca Li (Film Addict & Calentito). (UNREAL ENGINE DEMO) La crainte de vivre une expérience solitaire est balayée par Alexandre Michelin qui cite les jeux interactifs comme Fortnite où les joueurs communiquent avec les autres mais pas seulement. "J'ai fait par exemple, une visite virtuelle de la pyramide de Gizeh avec un de mes collègues, raconte-t-il. On a eu l'impression d'avoir été à Gizeh tous les deux. Il y a plusieurs éléments qui font ça. La première chose, c'est que le son est spatialisé. Ça veut dire que si quelqu'un vous parle dans votre dos ou devant vous, votre cerveau enregistre vraiment que la personne qui parle n'était pas dans un casque mais derrière ou devant ou avec vous. Et puis vous avez vraiment une sensation dans l'espace parce vous faites un pas en avant, la scène s'oriente en fonction du pas que vous avez fait. Si votre collègue est derrière vous, vous l'entendez qui vous suit. S'il passe devant vous, vous le voyez passer avec son avatar. C'est vraiment très impressionnant. L'émotion et le lien social restent dans votre mémoire et dans vos souvenirs." Une émotion bien réelle Est-ce qu’une "sur-sollicitation" du spectateur ne va pas le détourner de l’émerveillement de regarder ? À cette question, Blanca Li répond que ça ne la "dérange pas" parce qu’elle l'a "fait exprès". "Ce que j'aime c'est que le public se sente tellement libre qu'il oublie le monde réel. Qu'il se sente tellement bien dans le monde virtuel, qu'il ne se rende plus compte qu'il y est et qu'il réagisse comme s'il était dans le vrai monde. Il y a des groupes par exemple, qui vont partir dans un tel délire qu'ils ne vont à la limite pas suivre l'histoire ou l'inventer eux-mêmes. D'autres sont complètement à l'écoute et vont suivre les personnages. Il y a des personnes qui sont complètement prises par ce qui est autour, vont tout oublier tellement ils sont contemplatifs. Il y a toutes sortes de manière de vivre ce spectacle. C'est ça que j'adore. Il y a des gens qui vont commencer à chanter, des gens qui se mettent à danser, des gens qui parlent pendant l'expérience, qui échangent, qui viennent en famille avec la grand-mère, le groupe de copains, les couples qui s'aiment, qui se tiennent par la main." Alexandre Michelin confie qu’il est vraiment allé à la pyramide de Gizeh mais que, "souffrant d’asthme", il n’a pas eu "le cran" à l’époque d’y entrer. Pourtant c’était un rêve de gamin pour lui de pénétrer dans la chambre mortuaire du pharaon. Il considère que sa visite virtuelle de la pyramide lui a permis en quelque sorte de rattraper ce raté. Et même si "ce n'est qu'une illusion, ça crée ce sentiment", assure-t-il. "À un moment donné de la visite, je me suis pris au jeu. Quand j'étais à l'intérieur de la pyramide et que j’ai levé la tête, je me suis rendu compte que j’étais dans un espace exigu et qu'il y avait des tonnes de pierres au-dessus de ma tête. C'est bien là, la beauté, la magie, ou le côté mystérieux de ces univers persistants, c'est qu'à un moment donné, vous savez que c'est du virtuel mais il y a une partie de cette interaction qui parle à un cerveau non rationnel parce que c'est votre corps qui est en jeu."  "Aujourd'hui, ça se passe au cinéma de manière assez fruste, avec des bons systèmes sonores, avec des images très fortes, reprend Alexandre Michelin. Vous avez le cœur qui bat fort. Imaginez qu'au-delà de la situation du cinéma vous pouvez rentrer dans une scène, dans un couloir, visiter un lieu. Finalement, votre perception de l'espace est affectée et je suis incapable de vous dire combien de temps a duré l'expérience mais j'avais complètement oublié que j'étais dans Paris. Une phrase revient souvent : la réalité virtuelle parle au cheval qui est en nous. Ça parle à notre système limbique, à notre système presque instinctif. C'est pour cela, par exemple, que vous pouvez avoir le vertige."  Un potentiel énorme L’un des gros avantages défendu par Alexandre Michelin est que ces réalités virtuelles permettent d’avoir accès à des réalités inaccessibles parce que passées ou trop lointaines ou trop fragiles. Il revient par exemple sur l'exposition Pompéi qui s’est tenue en 2020 au Grand Palais, entre les deux périodes de Covid. Malmenée par le virus, l’exposition a toutefois séduit plus de 200 000 visiteurs. Il y a "traîné" sa fille de dix ans, peu enthousiaste au départ "parce que c’était de l’Histoire". "Il y avait une reconstitution de l'explosion du volcan. C'est fascinant pour un enfant, ça capte l'imagination. Et puis, il y avait des reconstitutions des villas de Pompéi. Il y avait de vrais artefacts, il y avait toute une suite d'expériences avec des casques. Ils ont fait appel à des scénaristes". La réussite a été telle, dit-il que le conservateur de Pompéi l’a rapatriée sur le site même la jugeant "complémentaire du réel", qu’elle "enrichissait l'expérience". Alexandre Michelin évoque également l’exposition baptisée L’Odyssée sensorielle au Museum d'histoire naturelle "où ils ont commencé à coordonner les sensations dans l'espace avec des odeurs. Il y a même des moments où c'est de la pure contemplation, convient-il. Je n'ai jamais été au Groënland. Grâce à cette expo, j'ai eu une idée de ce que cela pouvait être l'immensité de la glace et de la mer glacée. Bien géré, évidemment, ça va sortir de l'état de gadget et prendre du sens", assure-t-il. La réalité virtuelle permet d’avoir accès à des endroits inaccessibles pour la plupart d’entre nous comme le fond des mers ou l’espace avec un ressenti qu’on ne retrouve pas dans les livres ou à travers une photo, argumente Alexandre Michelin. C’est également une formidable opportunité, selon lui, d’accéder à des musées situés à des milliers de kilomètres ou à des œuvres qui doivent rester hors d’atteinte du public car trop fragiles. "Si on fait, des choses qui sont juste des numéros de puissances technologiques, on va faire des choses qui sont lassantes", admet-il. Mais pour lui, le métaverse à venir suit le même chemin que les débuts du cinéma. Les gens étaient effrayés par la simple représentation réelle d’un train entrant dans une gare filmé par les Frères Lumières. Mélies y a ajouté la magie des effets spéciaux. "Vous verrez que sur plusieurs années, les éléments qui ont fait le spectacle du cinéma vont se mettre en place. C’est une question d’adaptation", affirme-t-il. >> Qu'est-ce que le "Métaverse", l'univers parallèle qui fait rêver les géants du numérique ? Le cinéma n’est d’ailleurs pas en reste dans cette tentation d’emporter le spectateur de plus en plus loin dans le film. Une cinquantaine de salles en 4DX a émergé en France. Les sièges y bougent, vous prenez de la bruine dans le visage, vous sentez des odeurs, des balles sifflent à vos oreilles grâce à de l’air comprimé, des bestioles se faufilent entre vos jambes… Bref, un maximum d’effets vous donnant l’impression de vivre ce qui se passe à l’écran. Des salles commencent également à s’équiper de casques de réalité virtuelle qui, grâce à la vision à 360 degrés renforcent les émotions. Imaginez-vous dans Les dents de la mer… Vous tournez la tête, vous savez que le requin va attaquer mais pas par quel côté… Effet stress garanti. Une autre expérience va être proposée au printemps par Dream Factory. Les billets sont déjà en vente mais le lieu est encore tenu secret. On sait juste que ce sera accessible via une ligne du métro parisien. No fate est présentée comme la première expérience de cinéma immersif en France. Le concept est de vous offrir une virée dans l’univers recréé de Terminator 2 avec une centaine de participants et une vingtaine d’acteurs professionnels. On vous promet cinq histoires simultanées avec des fins alternatives que vous pouvez influer ou non. Vous restez libres d’interagir ou de boire tranquillement un verre au bar virtuel en simple figurant. Et parmi les scènes incontournables annoncées, celle de la fonderie.

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