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Économie et marchés

Auxin Solar, le petit poucet du photovoltaïque américain qui a mis tout un secteur à genou

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE Une plainte contre la Chine déposée en février par un Auxin Solar, un petit acteur du secteur américain du photovoltaïque, n’en finit pas de faire des vagues aux États-Unis. Elle a déstabilisé tout le secteur de l'énergie solaire aux États-Unis et a poussé le président Joe Biden à invoquer, lundi, des pouvoirs exceptionnels pour promouvoir les panneaux solaires "made in USA".   Joe Biden a des panneaux solaires plein les yeux. Un décret présidentiel américain, adopté lundi 6 juin, multiplie les initiatives pour augmenter la production américaine et les importations de panneaux solaires.  Le président américain a invoqué, à cette occasion, une loi d'exception datant de la guerre de Corée qui permet d'imposer aux producteurs américains de se concentrer sur certains produits. En 1950, c'était de l'armement, cette fois-ci, ce sont des panneaux solaires, censés aider les États-Unis à réduire leur dépendance aux sources d'énergie fossiles et polluantes. Et en attendant que l'appareil productif américain se mette en ordre de marche, ce décret prévoit également la levée pendant deux ans des tarifs douaniers sur les importations de panneaux solaires vendus par le Cambodge, la Thaïlande, la Malaisie et le Vietnam. Le Don Quichotte des panneaux solaires ? Ce décret a été chaleureusement accueilli par les militants de la cause climatique, qui se sont relayés ces derniers jours pour féliciter le locataire de la Maison Blanche. "C'est un grand pas dans la bonne direction de la part du gouvernement, qui reconnaît ainsi que nous sommes face à une urgence climatique nécessitant une mobilisation générale digne de la Seconde Guerre mondiale pour assurer au plus vite la transition vers les énergies renouvelables", a souligné Varshini Prakash, directeur adjoint du Sunrise Movement, un regroupement de jeunes qui se positionne à gauche du parti démocrate. "Nous espérons que ce décret marque un tournant dans la politique de l'administration en faveur des mesures pour mieux lutter contre le réchauffement climatique", a ajouté Jean Su, responsable des questions d'énergie au Center for biological diversity, une ONG œuvrant pour la protection des espèces menacées. Les professionnels du secteur de l'énergie solaire ont aussi applaudi des deux mains l'initiative présidentielle, souligne The Guardian. Tous ? Non, car une voix s'est élevée pour dénoncer la levée temporaire des tarifs douaniers. "En adoptant cette mesure sans précédent, le président vient d'ouvrir la porte à des intérêts pro-chinois qui s'activent pour contourner l'application des lois américaines sur le commerce", a réagi Mamun Rashid, PDG d'Auxin Solar, une modeste société américaine de fabrication de panneaux solaires, interrogé par le Financial Times mardi 7 juin. Jusqu'à récemment, les prises de position de cet entrepreneur comptaient peu dans le milieu du solaire et du photovoltaïque (transformation des rayons du soleil en électricité), et encore moins dans le débat national. Sa société ne produit, en effet, pas plus de 2 % des panneaux solaires vendus aux États-Unis. Mais tout a changé fin février 2022 lorsque Mamun Rashid a décidé de devenir une sorte de Don Quichotte des panneaux solaires américains en guerre contre les moulins photovoltaïques chinois. Il avait alors déposé une plainte auprès du secrétariat au Commerce, accusant la Chine de contourner illégalement des tarifs douaniers sur les exportations de panneaux solaires.  Ce sont, paradoxalement, les faits et gestes de ce détracteur du décret présidentiel qui ont en partie motivé Joe Biden à venir au secours du secteur des panneaux solaires américains, souligne le Financial Times. Car derrière les grands titres dans les médias sur ce décret présidentiel, il y a la petite histoire d'une société californienne d'à peine 50 employés qui est devenue en quelques mois "l'entreprise la plus détestée du milieu de l'énergie solaire", selon le Wall Street Journal. Une enquête lourde de conséquences Cette descente aux enfers réputationnels remonte au début de l'année. Une poignée de constructeurs américains de panneaux photovoltaïques se désolent alors de l'échec des tarifs sur les panneaux solaires chinois introduits en 2012 par Barack Obama, alors président des États-Unis, raconte le Washington Post.  La mesure était censée donner un coup de fouet à la production américaine, qui n'arrivait pas à faire face à la concurrence d'entreprises chinoises fortement subventionnées par Pékin et disposant d'une main-d'œuvre beaucoup moins chère. Mais après la Chine, les États-Unis sont tombés dans le panneau solaire thaïlandais, cambodgien, vietnamien et malais. Les malheureux concurrents américains ont rapidement soupçonné Pékin d'utiliser des sociétés-écrans de ces quatre pays asiatiques pour échapper aux droits de douanes. Certains d'entre eux ont décidé de déposer – anonymement – une plainte contre la Chine au secrétariat du Commerce. Ce dernier n'a pas voulu engager d'enquête tant que les auteurs de la plainte avanceront masqués. C'est alors qu'Auxin Solar va reprendre la plainte à son nom. Une enquête est alors officiellement lancée en mars par l'administration Biden pour déterminer le bien-fondé de cette plainte. Et c'est cette procédure qui "a mis tout le secteur américain du photovoltaïque à genoux", affirme le Washington Post. En effet, si les autorités décident qu'Auxin Solar a raison, toutes les importations de panneaux solaires ou de composants venus d'Asie seront frappées de droits de douane pouvant aller jusqu'à 50 % du montant des panneaux vendus. Y compris de manière rétroactive. Et c'est là que le bât blesse. Plus personne n'a envie d'acheter du matériel venu d'Asie, de peur de devoir payer rétroactivement des taxes. Comme plus de 85 % des panneaux vendus aux États-Unis sont fabriqués ou contiennent des matériaux produits dans l'un des quatre pays visés par la plainte d'Auxin Solar, c'est tout le marché américain du solaire qui a été mis à l'arrêt. "Près de trois quarts de tous les projets du secteur pour cette année ont dû être interrompus à cause de cette enquête", a conclu Rystad Energy, un cabinet américain de conseil, interrogé par le Financial Times.  Auxin Solar a été pris pour cible par les professionnels du secteur très en colère. "Mes employés sont harcelés en ligne et nous recevons des courriers de plaintes", a raconté Mamun Rashid au Wall Street Journal. Les contradictions de la politique américaine Une lettre a été envoyée à Joe Biden par 22 sénateurs le 2 mai, pour avertir le président sur les conséquences en termes d'emploi si cette enquête n'était pas rapidement bouclée. Et ce ne serait pas qu'une question économique. Auxin Solar a été accusée de mettre en péril les engagements de Joe Biden en matière de lutte contre le réchauffement climatique. NISource, un acteur du secteur de l'énergie, a ainsi affirmé mi-mai avoir décidé de repousser la fermeture de ses usines à charbon en raison de la paralysie du secteur des panneaux solaires. Certains médias ont même suggéré à mots à peine couverts que Mamun Rashid devait être financé par le lobby des énergies fossiles pour mener sa bataille judiciaire. Ce dernier s'est défendu, assurant à plusieurs reprises qu'il n'a engagé que ses fonds propres dans cette affaire.  Les rares voix qui soutiennent Auxin Solar dans sa démarche soulignent que toute cette affaire met surtout en lumière les contradictions de la politique américaine, note le Washington Post. D'un côté, les États-Unis veulent se montrer durs envers Pékin, mais de l'autre, leur volonté de passer à une économie plus "verte" dépend encore beaucoup de matériels chinois. "Cette enquête est nécessaire car elle nous montre à quel point les États-Unis doivent être indépendants dans le domaine des énergies renouvelables, car sinon nous sommes à la merci d'un régime qui bafoue les droits humains pour vendre ses produits moins chers", souligne au Wall Street Journal Lori Wallach, une spécialiste du commerce internationale pour l'American Economic Liberties Project, un centre de réflexion proche du parti démocrate.

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