Au procès du meurtre d'Arthur Noyer, la cour d'assises n'a pas vraiment percé le mystère Nordahl Lelandais
Après sept jours d'audience, Nordahl Lelandais n'a pas livré tous ses secrets. L'ancien maître-chien a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour le meurtre du caporal Arthur Noyer, mardi 11 mai à Chambéry (Savoie). L'oralité des débats, propre aux assises, a permis d'affiner les contours d'une personnalité que chacun croyait déjà connaître. Les mots des autres, plus que les siens, ont corrigé les traits de la caricature du "monstre", apportant çà et là de la nuance. D'autres facettes de l'homme sont restées dans l'ombre, faute d'éclaircissements de sa part. "C'est comme s'il distribuait des pièces de puzzle mais pas toutes les pièces", a résumé la psychologue Hélène Dubost, appelée à la barre avec d'autres experts pour tenter d'éclairer les jurés sur ce premier passage à l'acte. C'était toute la difficulté de ce procès : juger un homme en faisant abstraction de la suite de son parcours criminel, avec la mort de la petite Maëlys de Araujo.
L'accusé de 38 ans "se livre difficilement", est "dans la maîtrise et le contrôle", "ne s'exprime pas de façon spontanée", a souligné l'experte. Tout au long de sa comparution, il est vrai, Nordahl Lelandais a semblé peser chacun de ses mots, s'adressant avec peu de conviction au portrait souriant d'Arthur Noyer qui lui faisait face. Il s'est exprimé lentement, imposant souvent de douloureux silences aux questions sur les circonstances de la mort du jeune militaire de 23 ans. Le trentenaire aux cheveux poivre et sel, qui avait troqué son tee-shirt moulant Pepe Jeans pour un ensemble chemise-chino bien ajusté, semblait figé "dans sa carapace", selon les mots qu'il a lui-même employés face à l'une de ses anciennes amies venue l'implorer de "dire la vérité". A le voir prostré et en larmes à ce moment-là, la salle a bien cru qu'il allait craquer et livrer une des pièces manquantes du puzzle. Il n'en a rien été.
Une version peu convaincante
Au terme d'une semaine de procès, la cour d'assises reste dans le flou sur ce qu'il s'est réellement passé dans la nuit du 11 au 12 avril 2017. Elle a entraperçu, sur les images de vidéosurveillance, la soirée dansante et éméchée d'Arthur Noyer, les déambulations nocturnes de Nordahl Lelandais, à pied puis en voiture, tout près. Ce qui a suivi n'est plus que bornages téléphoniques et explications alambiquées de l'accusé. Il a ainsi campé sur sa version peu convaincante d'une bagarre qui aurait mal tourné, pour une histoire de téléphone volé. Tout en se présentant comme une "victime" d'Arthur Noyer, Nordahl Lelandais a laissé entrevoir le contraire lors de son entretien avec l'experte-psychologue Hélène Dubost. "Il s'est bien défendu", a-t-il laissé échapper à propos du caporal.
Son avocat lui-même, le pugnace Alain Jakubowicz, a tendu une dernière perche à son client, après quatre heures d'interrogatoire vendredi. "Si cette version n'est pas la bonne, c'est le moment. S'il y a un mobile sexuel, cela ne change rien sur la qualification pénale. Est-ce que tu as autre chose à dire, un complément ?"
C'est la thèse de l'accusation : Nordahl Lelandais cherchait un partenaire sexuel ce soir-là, a pris en stop Arthur Noyer dans cette intention et l'a tué après s'être heurté à une résistance de la part du militaire, décrit comme "hétérosexuel" par ses proches à la barre. "Je ne l'ai pas contraint à monter dans mon véhicule, à l'emmener à un endroit où il ne voulait pas, comme on cherche à me le faire dire", a maintenu l'accusé.
Un mobile sexuel à l'origine du meurtre ?
La lumière crue projetée sur sa sexualité ne l'a pas fait varier. La cour a entendu ses ex-compagnes évoquer "ses besoins plus importants que la moyenne", ses pratiques "sadomasochistes soft", lui dans la position du dominant, ses envies soudaines au détour d'une promenade, ses rendez-vous clandestins au bord du lac d'Aiguebelette. Le président François-Xavier Manteaux s'est attardé sur les centaines de messages échangés avec Richard, un "match" sur un site de rencontre fin 2016, contraignant le témoin à confirmer la "tenue en latex", les "menottes", la "laisse", les "fellations" et les "doigtés" avec l'accusé. Le magistrat a lu aussi, mot pour mot, les sms insistants envoyés par Nordahl Lelandais à l'une de ses conquêtes du moment, le soir des faits, pour un rapport sexuel. "J'ai été parfois étonnée par la tournure prise par les débats, sur une ligne de crête entre la morale et le droit, a plaidé mardi Valentine Pariat, l'une des avocates de la défense. La seule notion qu'il faut retenir de tout cela, c'est la notion de consentement, dont chacun et chacune est venu dire à cette cour qu'il avait été respecté."
Comment expliquer malgré tout cette coexistence, dans "un même laps de temps", de "relations hétérosexuelles, homosexuelles et d'un intérêt sexuel pour les enfants", comme l'a relevé l'avocate générale ? L'accusé élude : "A ce moment-là, j'étais perdu." Selon l'expert-psychiatre François Danet, Nordahl Lelandais est bloqué dans son cheminement psychologique. S'il s'ouvre, "il risque de s'effondrer de façon majeure", avec un "risque suicidaire".
Nordahl Lelandais a peut-être "peur d'un effondrement psychique interne. Ou bien, plus prosaïquement, c'est parce que s'il reconnaît ce mobile [sexuel] aujourd'hui, il devra le reconnaître au cours du procès Maëlys de Araujo", prévu en 2022, a opposé l'avocate générale Thérèse Brunisso lors de son réquisitoire, mardi. "Un homme qui aurait tué malgré lui recommencerait-il à tuer moins de cinq mois plus tard ? Evidemment non", allusion à l’affaire Maëlys De Araujo.
Une "année noire" qui fait basculer l'accusé
La question reste néanmoins entière : pourquoi ce trentenaire oisif, revenu vivre chez ses parents faute de travail stable, a basculé dans l'horreur ? Comment est-il passé "d'un type banal à quasi-ennemi public numéro 1", selon la formule de son avocat Alain Jakubowicz ? La réponse pourrait se situer autour de l'année 2016, où tout a basculé pour lui. Nordahl Lelandais affirme alors connaître une "année noire". Le psychiatre François Danet confirme "un tournant dans la recherche de sensations fortes qui s'accroît". Sa consommation d'alcool et de stupéfiants augmente, tout comme ses envies sexuelles, qui participent "à son excitation permanente" et le font "se sentir en vie".
Ce comportement pourrait en partie trouver son origine dans une "blessure narcissique" très forte, selon les experts : son départ de l'armée en 2005, avant la fin de son contrat de cinq ans. Nordahl Lelandais dit avoir claqué la porte de "la grande muette" après avoir reçu une flèche de sarbacane dans l'œil de la part d'un supérieur. "C'est une très grande déception pour lui. Il avait choisi d'être cynophile : c'était très valorisant et vecteur d'un attachement affectif très sécurisant", a développé la psychologue Magali Ravit à la barre. "J'ai dû quitter mon chien et je regrette beaucoup, car comme je vous l'ai dit, c'est une très grande passion", a confirmé l'intéressé à l'audience. Une passion partagée avec la majeure partie de ses petites amies. Evoquant ses chiens Tyron – "l'amour de sa vie" mort début 2018 – et Caline, adoptée après avoir été maltraitée, les experts ont été jusqu'à pointer une "identification (...) importante chez lui" avec l'animal.
Une vie compartimentée
Un épisode mal éclairci de son adolescence pourrait-il aussi expliquer la bascule de Nordahl Lelandais ? Sa mère a confirmé à la barre qu'il a brutalement interrompu son internat en "sport-études" au collège : "Le lundi matin, lorsque je le déposais au bus, il m'appelait : 'Viens me rechercher maman'. Il n'a fait qu'une année. Il s'est passé quelque chose mais il n'a jamais voulu m'en parler." Sa dernière petite amie, Anouchka, a elle aussi mentionné cet épisode. Inquiète des besoins sexuels permanents de son compagnon, elle avait demandé à sa mère s'il n'avait pas été victime d'"attouchements". La cour n'a pas fait la lumière sur ce point et l'accusé s'en est tenu au fait que ce cursus ne lui plaisait pas.
Ces trous dans sa biographie n'ont pas été comblés par le témoignage de ses proches. Sa mère a dépeint une vie de famille "normale", vacances en Espagne l'été, au ski l'hiver. Concédant une relation "plate et fade" entre Nordahl Lelandais et son père, un attaché commercial dans les produits pharmaceutiques souvent absent et "un peu égoïste", cette assistante de radiologie à la retraite confie n'avoir rien "vu venir", quand bien même son fils habitait sous le même toit à la période des faits. "Il avait son espace à lui. A la maison, il ne buvait pas, son apéritif restait sur la table. Dans sa chambre, il y avait des packs d'eau et des bouteilles de sirop."
Nordahl Lelandais semble avoir compartimenté sa vie de la même façon avec ses amis. Eux non plus n'ont rien vu, rien su de sa consommation effrénée de cocaïne ni de ses vies parallèles sur les sites de rencontres, sur lesquels il se faisait appeler "Jordan". Ces "magnifiques amis", comme les a qualifiés le père d'Arthur Noyer, l'ont soutenu jusqu'à ce qu'il finisse par reconnaître son implication dans la mort de Maëlys et du jeune militaire. Leurs récits à la barre ont redoré l'image de "Nono le barjo", qui s'incruste en bermuda à un mariage avant d'enlever une fillette. "Moi, j'ai connu quelqu'un d'extrêmement prévenant, sympathique, un super gars, c'est affreux à dire", a dit Alexandra. "Ce n'était pas un foudre de guerre au travail mais c'était un super pote", a abondé son meilleur ami, Nazim, tirant les larmes de l'accusé et même celles de son avocat Alain Jakubwicz. "Apprends à te séparer", avait-il néanmoins conseillé à Nordahl Lelandais, empêtré dans sa double vie amoureuse.
Une propension au mensonge
Les psychologues Hélène Dubost et Magali Ravit ont confirmé "une modalité de dépendance" de l'accusé dans "les relations affectives" et "une personne qui lutte contre des états de vulnérabilité très forts" face "à la perte et à la séparation". Leurs confrères psychiatres ont diagnostiqué un "trouble grave de la personnalité", lié à "l'intolérance à la frustration". Les experts sont unanimes : "Même s'il y a eu consommation de cocaïne" le soir du meurtre, "ça ne suffit pas à altérer le discernement. Nordahl Lelandais n'est pas psychotique", a expliqué François Danet, pointant, comme ses collègues, une tendance à la "manipulation" et à la mythomanie.
Ses ex-compagnes, moins élogieuses que ses anciens amis, ont confirmé cette propension aux mensonges, gros et petits. "Il mentait vraiment sur tout et n'importe quoi", a raconté Christelle, citant l'exemple de faux plâtres fabriqués par Nordahl Lelandais pour faire croire qu'il s'était blessé à la main. "C'est quelqu'un qui est un menteur : il ment, il ment et c'est son ADN", a plaidé l'avocat de la famille d'Arthur Noyer, Bernard Boulloud.
La cour en a eu une illustration à la lecture d'une conversation téléphonique le 21 décembre 2017 entre Anouchka, sa dernière petite amie, et l'accusé, alors qu'il est incarcéré dans l'affaire Maëlys et qu'il vient d'être mis en examen dans l'affaire Noyer. "C'est quoi ce bordel ? Tu as fait quelque chose ?", lui demande-t-elle. "Non, mon cœur. (...) Je n'ai pas tué ce mec, je n'ai pas tué la petite, je n'ai tué personne", assure Nordahl Lelandais au bout du fil. Il avouera en février et en mars 2018 qu'il est bien à l'origine de leur mort, mais accidentellement. "Je n'ai jamais voulu la mort d'Arthur Noyer, jamais", a-t-il répété avant le verdict, présentant une nouvelle fois ses "excuses" à la famille de la victime. Beaux garçons, sportifs, militaires... Didier Noyer avait dressé un parallèle entre son fils et l'accusé dans le box : "Les deux ont commencé par le côté lumineux de la Force. Il y en a un qui est tombé du côté obscur."