Au procès du 13-novembre, le témoignage bouleversant d'une rescapée, qui raconte son "combat quotidien" pour se reconstruire
Âgée de 27 ans la nuit des attaques, elle a perdu son mari et deux amies à la terrasse du bar Le Carillon. "La tête haute mais épuisée", la jeune femme a livré un douloureux récit.
Son témoignage, bouleversant, est arrivé dans un moment particulièrement tendu de l'audience, mercredi 29 septembre, au procès des attentats du 13-Novembre. Il est un peu plus de 18 heures, lorsqu'un vif échange intervient entre les avocats de la défense et le président de la cour d'assises spéciale, Jean-Louis Périès. Me Olivia Ronen, qui représente Salah Abdeslam, lui reproche de laisser passer des "insultes" à l'égard de son client. Un rescapé du bar Le Carillon vient à l'instant de traiter Salah Abdeslam de "petite racaille" dans sa déposition. Elle lui reproche également d'avoir coupé le micro de son client les quelques fois où il s'est exprimé.
Le président rétorque qu'elle doit faire en sorte que Salah Abdeslam "modère ses propos vis-à-vis des parties civiles." On frôle la suspension d'audience. Il conclut qu'il prend note de ces remarques, mais prévient qu'il sera du devoir de la défense "d'intervenir à chaque fois que les propos de Salah Abdeslam seront susceptibles de heurter les parties civiles."
"Tout de suite, je sais qu'il n'est plus"
C'est dans ce climat de tension qu'une jeune femme âgée de 27 ans le soir des attaques, s'avance devant le micro. Peau diaphane, cheveux châtains clairs, vêtue d'une robe vert foncé, cette frêle jeune femme vient tenter de mettre des mots sur l'incidicible. "C'était quelqu'un de beau, de brillant, de solaire, il cuisinait très bien. Il était drôle, c'était l'homme de ma vie", dit-elle délicatement. Ses premiers mots sont pour Amine, son mari, tué sur la terrasse du Carillon.
Ce soir-là, ces deux jeunes architectes à la carrière prometteuse buvaient un verre en compagnie de trois amis : deux sœurs, Charlotte et Emilie et Mehdi. Elle était la plus jeune, les quatre autres avaient 29 ans. "On évoquait leur anniversaire de 30 ans".
Quand les terroristes surgissent, ils mitraillent la terrasse. Elle se jette au sol, tapie sur le trottoir entre le caniveau et les roues d’une voiture. Mais les balles de kalachnikov ne l'épargnent pas et transpercent ses jambes, son dos et son pied. "Je sens les chocs, mais je ne sens pas la douleur." Le commando quitte les lieux après quelques minutes. Les premiers secours arrivent. "J'entends : 'occupez vous des conscients d'abord'".
Elle cherche son mari des yeux. "Il est sur le dos, il a les yeux ouverts. Tout de suite, je sais qu'il n'est plus", commente la jeune femme. "Je ne vois pas le sang, je ne vois pas les 22 impacts dans son corps. Je ne vois pas les projectiles qui ont touché ses poumons, son foie, son coeur. Tout ce que je vois, c'est ses yeux et son regard, qui est vide, c'est le néant." Emilie et Charlotte ne bougent plus elles non plus. Elles sont mortes. Mehdi est vivant mais grièvement blessé, "il y a beaucoup de sang sur son tee-shirt."
"J'ai la tête haute, mais je suis épuisée"
Elle aussi a été grièvement touchée. "Je regarde mes jambes en lambeaux. Je vois un trou dans ma chaussure. On me tend des torchons pour faire des garrots." Cette miraculée subira plusieurs lourdes opérations, dont quatre greffes d'os et de peau. Ces blessures l'ont fait tenir, dit-elle. "Elles m'obligeaient à me battre. Il fallait que je mette debout, que je marche. J'avais 27 ans, encore toute ma vie à vivre. Je me suis battue dès la première seconde, choisissant la vie et l'espoir." Elle est aujourd'hui bien debout, sans attelles, ni béquilles.
"Les moments qui ont suivi sont impossibles à décrire. Des cauchemars. Des crises de larmes. Un extrême sentiment de solitude. Tout ça, j’ai voulu l’oublier", dit-elle en larmes, le visage rougi. La douceur de sa voix tranche avec la douleur qui émane de son récit. "Je ne pensais pas qu'il était humain de sentir un tel sentiment de détresse et de solitude. Je ne savais pas que c'était possible." L'amour de ses proches et de ses amis autour d'elle la "sauvent".
"J'ai la tête haute, mais je suis épuisée", souffle-t-elle. Elle raconte son combat quotidien qui dure depuis six ans. "Je ne rêve plus, mes rêves ont dépeuplé mes nuits, littéralement." Mais elle avance et a réussi à reprendre son travail, même si "elle doute beaucoup" et dit avoir tendance à se "défausser" de ses "responsabilités". Elle a quitté Paris et rencontré un homme qui la "supporte" et la "soutient" au quotidien. Elle espère un jour ne plus "être dans la reconstruction, mais simplement dans la vie, l’insouciance d’une soirée entre amis."