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Insolite et Faits divers

Attentats du 13-Novembre : "L'innocence a disparu dans le quartier", témoigne le propriétaire du Petit Cambodge

13-Novembre : "L' innocence a disparu dans le quartier", Simon Octobre, propriétaire du Petit Cambodge Simon Octobre s’est toujours refusé à parler publiquement des attentats. A la veille du procès, il témoigne pour la première fois. Le 13 novembre 2015, 13 personnes sont décédées au Petit Cambodge dans le Xe arrondissement. C'est la première fois depuis le 13 novembre 2015 que le co-fondateur du Petit Cambodge parle publiquement de l'attentat. Mais avant de débuter cette interview, Simon Octobre nous prévient. Il ne parlera pas de lui. Aucune question personnelle. Pas de pathos. Il prend la parole en tant que "personne morale", représentant le Petit Cambodge et ses salariés. Comme "une responsabilité" qu'il doit ou qu'il peut aujourd'hui assumer, dit-il. Il livre juste, que le soir des attentats, il s’est absenté de son établissement une quarantaine de minutes avant d’être rappelé d’urgence et de découvrir le massacre. Il se souvient également que la soirée du 13 était un peu fraîche : "C’était le premier week-end, où il faisait froid. Si les attentats avaient eu lieu une semaine avant, le nombre de victimes aurait été le même qu’au Bataclan, les terrasses des cafés et des restaurants du quartier étaient bondées". Pourquoi avez-vous décidez de parler aujourd’hui, veille du procès ? "Pendant plus de cinq ans, on n'a jamais rien dit. A aucuns médias. Nous n'avons participé à aucun documentaire. Nous avons eu un certain nombre d’échanges avec Denis Peschanski, un historien qui gère le programme 13-Novembre sur le travail de la mémoire". (Ndlr : Denis Peschanski est un historien, directeur de recherche au CNRS. Il dirige le programme 13-Novembre concernant la mémoire individuelle et collective des attentats). Nos échanges ont parfois été houleux autour de cette question de la prise de parole, mais cela nous a fait avancer", se rappelle-t-il. Simon Octobre a longuement discuté avec ses salariés. Beaucoup étaient déjà là il y a 6 ans. "Tous les salariés de cuisine qui sont là aujourd’hui étaient là le 13 novembre. En échangeant, on a fait naître des choses et aujourd’hui je me fais leur porte-parole et celui du restaurant en tant que représentant légal. Je prends la parole au nom d’une personne morale, ce qui, entre parenthèse permet une mise à distance". "Ce qui nous motive à parler aujourd’hui, c’est de ne pas laisser les gens parler à notre place. Ce qui ressort des propos des salariés, c’est la volonté de ne pas être récupérés par les extrémistes. Ne rien dire, c’est laisser la place aux autres et les discours que nous avons pu entendre sont aux antipodes de ce que nous pensons, de ce que l’on peut vivre. Ce sont des discours d’exclusion qui sont intolérants et intransigeants. Il y a une responsabilité à prendre la parole." "Certaines personnes, certaines victimes même, qui ont des traumatismes tiennent des discours extrêmes. A ces personnes-là, on a envie de leur dire puisqu’ils sont concernés, venez ici, venez boire un café. On ne voit pas les choses de la même façon, on n'est pas d’accord avec vous mais on va en discuter."  Comment s’est passée la réouverture du Petit Cambodge après les attentats ? Quatre mois après les attentats, au printemps 2016, le restaurant ouvre à nouveau ses portes. "En rouvrant, nous avions la volonté de dire : ça ne s'arrête pas malgré les attentats", assure Simon Octobre. "On a changé un certain nombre de choses, les codes couleurs, des éléments de décoration, de mobilier. On a refait les murs pour effacer les traces. Mais la conception du restaurant est restée la même. On ne voulait pas que ça change".  Au fond de la salle, 13 petits carreaux blancs ont été collés sur le mur. Comme les 13 victimes décédées à l'angle des rues Alibert et Bichat. "Dans les joints du carrelage, la date du 13 novembre est gravée. C’était notre façon de marquer le coup. Nous ne voulions pas que cela soit oppressant pour les salariés et nous ne voulions pas non plus effacer ce qu’il s’est passé car on ne peut pas effacer ce drame", ajoute le co-fondateur du restaurant. Le quartier est-il différent depuis les attentats ? Pour Simon Octobre qui travaille mais qui a aussi grandi dans le Xe arr., "L'innocence a disparu dans le quartier. Je ne sais pas si c’est sociétal ou si c’est l’évolution du quartier... Je ne sais pas répondre". "Avant, les gens qui venaient dans le quartier, sur nos terrasses étaient apolitiques. Ils n’avaient pas d’engagement religieux public. Chacun gérait sa foi comme il l'entendait. C'était des gens qui avaient juste envie d’être heureux, de refaire le monde. C'était un quartier vivant avec des personnes venant de tout Paris pour se retrouver ici. Et aujourd'hui c'est ce qu'on essaie de refaire vivre", atteste-t-il. Quels enseignements tirez-vous de cet attentat ? "Ce qui s’est passé n’est pas normal, ne doit pas "être", ne doit pas exister. Bizarrement ce qui s’est passé, nous rend presque plus tolérant aujourd’hui. Nous sommes plus dans l’accueil, dans la compréhension. Notre métier, c'est d'accueillir, créer des espaces de discussions".  "Chaque année lors des commémorations, le quartier est fermé et cela permet à des gens de venir se recueillir, laisser vivre sa peine, ses sentiments et chaque année on ouvre la porte. On sert des cafés, on crée un moment hors du temps où chacun est en colère ou triste peu importe, mais peut venir ici. Quand les barrières sont à nouveau ouvertes, on reprend "une vie normale", dit-il. Et "la vie normale" pour les propriétaires du restaurant, c'est aussi de continuer leur projet d'entreprise. Un autre Petit Cambodge ouvrira prochainement à quelques pas de la rue Alibert. "Cet attentat a été une prise de conscience. C’est un marqueur dans notre vie et cela a certainement influencé nos choix, modifié certaines de nos décisions notamment en ce qui concerne l'ouverture d'un autre restaurant dans le quartier", estime le fondateur du Petit Cambodge. Qu'attendez-vous du procès ? "Il est nécessaire", affirme Simon Octobre.  "L’attente que l’on a, c’est que justice soit rendue. Il y a un enjeu de société, de justice et d’État. Rendre la justice, c’est permettre à des gens qui sont victimes d’avoir un statut, de les reconnaître. De dire que dans notre société, celle dans laquelle on a grandi ou celle qui a été construite par nos parents, il y a un cadre à respecter et qui s’applique à tout le monde", conclut-il.

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