news-details
Actualités

Attentats du 13 novembre 2015 : six ans après, personne n'a oublié (2/2)

Bart est le directeur du bistrot La Belle Équipe, Jean-Baptiste est professeur d'histoire à Paris et Nicolas est agent immobilier, voisin du Bataclan. Tous ont vécu ces attaques du 13-Novembre à Paris et à Saint-Denis. Pour France 24, ils ont accepté de raconter comment ces attentats ont marqué leur parcours et comment ils ont décidé d'aller de l'avant. Le 13 novembre 2015, Paris était frappée par des attentats jihadistes faisant 130 morts et 350 blessés à l'extérieur du Stade de France, sur des terrasses de la capitale et dans la salle de spectacle du Bataclan, située dans le 11e arrondissement. Six ans après, la justice replonge, à partir du 8 septembre et pour près de neuf mois, dans l'horreur de ces attaques, les plus meurtrières perpétrées sur le sol français depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si cette nuit du 13-Novembre a bouleversé le destin des nombreux blessés et des proches des victimes, ces attentats ont aussi laissé des traces chez les Parisiens rencontrés par France 24. Ils racontent comment ils sont allés de l'avant. Bart a 32 ans. Il en avait 26 à l’époque, lorsqu’il a perdu ses collègues et amis dans l’attaque de La Belle Équipe, où il faisait le service le soir du 13-Novembre. La terrasse de cette chaleureuse brasserie du 11e arrondissement de Paris a été la cible des terroristes, qui y ont abattu 20 personnes sur-le-champ. La Belle Équipe est le lieu où l'on a déploré le plus de morts après le Bataclan. "On a tendance à l’oublier", rappelle Bart, passé à la direction du restaurant il y a deux ans. Pour autant, il ne veut pas revenir sur ce qu'il s’est passé cette nuit-là. Avec le patron du bistrot, Grégory Reibenberg, qui a perdu sa femme Djamila dans la fusillade, Bart et d’autres se sont constitués partie civile pour le procès du 8 septembre. Un événement attendu. "Je serai là, je le fais pour eux, pour Grégory et pour représenter La Belle Équipe… mais après le procès, je veux tirer un trait. Je vais vivre avec ça toute ma vie mais d’un point de vue public, je ne donnerai plus d’interviews", explique-t-il. De la justice, il n’attend pas grand-chose : "Salah Abdeslam est un homme taiseux, il n’a rien dit depuis le début et je doute qu’il dise quelque chose au procès." Après l’attaque du 13-Novembre, Bart a du mal à revenir à La Belle Équipe. C’était avant que le restaurant ne fasse peau neuve. En 2016, Grégory Reibenberg retape le lieu, le bar change de place, le bistrot reprend des couleurs, les repères ne sont plus les mêmes. "La Belle Équipe est renée de ses cendres." Des années plus tard, Bart, "très attaché", est le seul de l’équipe d’avant. "Parfois, les gens sont surpris que je travaille là après ce que j’ai vécu. Mais ce lieu reste un lieu de vie", répète-t-il. Au mur, une fresque représentant des coquelicots est assortie des prénoms discrets de tous ceux qui ont perdu la vie ici, pointe le directeur. Mais dans son travail au quotidien, il évite de penser au 13-Novembre. "Je me suis fait une barrière." D’ailleurs, il s’agace quand des gens viennent déposer des fleurs. "Je sais que c’est une façon pour eux de nous témoigner leur amour, sauf qu’ici, on n’est pas dans un cimetière, ce n’est pas une tombe. Ici, c’est un café, un endroit où les gens viennent s’amuser. C’est d’ailleurs pour ça qu’on nous a tiré dessus. Et si ça devient un lieu où les gens viennent se recueillir, ceux qui ont fait ça auront gagné. Alors non." "La vie a continué de plus belle. On a eu encore plus de monde après", se rassure Bart. Six ans plus tard, aux commandes, c’est lui désormais qui forme une nouvelle génération de serveurs à La Belle Équipe. “Ils sont jeunes, je cherche aussi à les préserver, je ne veux pas qu’on leur rappelle sans cesse qu’ici a été un lieu des attentats." Féru de football, c’est évidemment devant sa télévision que se trouvait Jean-Baptiste le soir du 13 novembre 2015. Le professeur d’histoire d’un lycée privé parisien et de l’enseignement supérieur regarde la rencontre France-Allemagne avec son beau-frère, dans un appartement situé porte de Champerret, dans le 17e arrondissement de la capitale. Six ans après le drame, il se souvient encore de cette soirée cauchemardesque minute par minute. "Quand j’ai vu que la situation partait en live sur Twitter, j’ai tout de suite pensé à certains de mes étudiants qui se trouvaient sur le parvis du Stade de France." Puis il découvre comme chacun, médusé, la tragédie du Bataclan. Il se couche ce soir-là à 3 h du matin. Le week-end passe. Puis arrive le lundi et le moment d’expliquer l’inexplicable aux élèves. "En tant que professeur, on se retrouve dans une situation schizophrénique où l’on doit faire face à ses propres émotions tout en revenant sur les événement de la manière la plus objective possible en contextualisant." La tâche est complexe. "L’Éducation nationale nous a lâchés en rase campagne. Les autres professeurs, pour beaucoup sidérés, se sont aussi beaucoup reposés sur les professeurs d’histoire pour expliquer les événements. Le terrorisme fait partie des choses que l’on enseigne. On a fait le travail et remis les événements en perspective." Mais l’exercice est pesant. L’enseignant reçoit aussi beaucoup de messages d’anciens élèves et d’étudiants qui veulent également comprendre. L’incompréhension est immense. Pendant toute cette période, "on a répondu à une attente sociale. Trop peut-être." Au fil du temps, le sujet occupe toutes ses pensées, devient obsessionnel, oppressant. "J’y pensais tout le temps." Il faut dire que le drame l’a touché de près : l’un de ses amis, présent au concert des Eagles of Death Metal, est un rescapé du Bataclan. Avec une autre historienne, ils décident alors de porter le récit de leur ami dans un livre. "La première commémoration et la sortie du livre m’ont fait du bien, cela m’a permis de digérer l’information et de passer à autre chose." Mais le 16 octobre 2020, l’horreur se répète. "L’assassinat de Samuel Paty a brutalement fait resurgir les souvenirs de Charlie et du 13-Novembre. J’ai pris cette nouvelle histoire en pleine gueule. En tant que professeur d’histoire, on se dit que ça aurait pu être soi." De la peur ? "Non, mais on sait que l’on doit rester extrêmement vigilant dans les réponses que l’apporte aux élèves sur la laïcité." Mais toujours de la colère vis-à-vis de l’Éducation nationale. "Car là encore, on s'est retrouvés bien seuls." Aujourd’hui, l’enseignant de 42 ans poursuit sa mission pédagogique. Mais il se pose de plus en plus de questions sur l’avenir du monde. Surtout depuis qu’il est devenu papa d’une petite fille en 2018. Ses attentes se portent désormais sur le procès, qui s’ouvre le 8 septembre à Paris. "Il faut que la justice aille jusqu’au bout, peu importe le temps qu'elle prendra, pour que les victimes et leurs proches soient entendus et (...) puissent passer à autre chose. Ce qui va sortir de ce procès historique est également très important car il va nourrir le travail de mémoire des historiens et des chercheurs dans les prochaines années et bientôt alimenter les livres d’histoire." Il venait de célébrer ses 33 ans la veille, en fanfare, avec des copains. Alors le soir du 13-Novembre, Nicolas a préféré rester au calme à la maison, devant le match de football avec son épouse, son nourrisson et quelques amis. Cet agent immobilier qui a ouvert plusieurs agences, dont une voisine du Bataclan, habite lui aussi à deux rues de là. "Pendant le match, j’ai entendu une explosion. Je me souviens d'Evra qui lève la tête dans le Stade de France. Je connais les stades pour les avoir fréquentés longtemps. Je me suis dit que ce bruit-là n'était pas normal." Très vite, le téléphone sonne, des amis sont inquiets parce qu’ils savent que Nicolas habite à 200 mètres de la salle de spectacle où sont retenus en otage plusieurs centaines de spectateurs. "On a changé de chaîne et on est restés scotchés à la télévision plusieurs heures. Dehors, par la fenêtre, on a entendu une fusillade et des grenades quand les forces de l’ordre sont entrées dans le Bataclan. Les amis sont restés dormir à la maison." "On n'est pas sortis de chez nous pendant trois jours, ou alors juste pour le strict minimum et en faisant attention", raconte Nicolas. Au travail, pendant deux semaines, c’est le calme absolu. "Les gens du quartier étaient sous le choc. Le 11e arrondissement a été visé deux fois en moins d’un an. Il y a eu les attentats de Charlie Hebdo à 300 mètres de là quelques mois avant." Nicolas s’attend à ce que le marché immobilier en prenne un coup, mais seule une vente sera annulée. "Les acheteurs, des Anglais, devaient signer une promesse pour offrir un appartement à leur fille et ils ont pris peur." À l’inverse, dans le quartier, "les gens n’avaient pas envie d’arrêter de vivre", observe l’agent immobilier. "Je crois que je n’ai jamais vu les terrasses aussi remplies qu’après ces attaques, même si c’était ultradéconseillé. Le 11e est réputé pour être un quartier de fêtards, de bons vivants et ces attentats-là ont ciblé la musique, la fête, les artistes… C’est comme si les gens d’ici voulaient montrer qu’ils n’avaient pas envie de se laisser impressionner", se remémore-t-il. Il y a un an, Nicolas a fini par déménager, mais il travaille toujours à proximité et passe très régulièrement devant le Bataclan. "Il y a un monument et des fleurs. J’ai toujours une pensée pour ceux qui sont morts et les blessés. Mais je n'attends rien du procès", confie-t-il. "Malheureusement, le mal est fait, les coupables ne pourront jamais rendre toutes les vies qu’ils ont prises. Pour moi, ça ne suffit pas, mais on ne peut rien faire d’autre." >> Retrouvez les témoignages de Noam, ancien policier de la direction du renseignement, et de Célia, chirurgienne (1/2)

You can share this post!