Attentat à Kaboul : ce que l'on sait de la branche de l'Etat islamique à l'origine de l'attaque
Attentat à Kaboul : ce que l'on sait de la branche de l'Etat islamique à l'origine de l'attaque
Le groupe terroriste a revendiqué l'attentat survenu près de l'aéroport de Kaboul, qui a fait des dizaines de morts. Ces derniers jours, beaucoup craignaient une attaque de l'ISKP.
L'attaque tant redoutée a eu lieu en Afghanistan. Une double explosion s'est produite à proximité de l'aéroport de Kaboul jeudi 26 août. Au moins 13 soldats américains sont morts et 18 autres blessés, selon le Pentagone. Côté afghan, le bilan est encore provisoire : les talibans ont déclaré jeudi avoir recensé jusqu'à 20 morts et 52 blessés, mais d'autres sources évoquent un bilan civil bien plus lourd.
Quelques heures seulement avant l'attentat, plusieurs pays dont les Etats-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni demandaient à leurs ressortissants de s'éloigner au plus vite de la zone en raison de "menaces terroristes". Sur place, des milliers de personnes tentaient encore jeudi d'embarquer dans un avion pour fuir les talibans, avant la date butoir du 31 août.
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L'attaque a été revendiquée jeudi soir par l'Etat islamique (EI) dans un communiqué diffusé par son agence de propagande Amaq et relayé par le Site Intelligence, centre américain spécialisé dans la surveillance des groupes islamistes et extrémistes. L'organisation terroriste y affirme qu'un de ses combattants appartenant à l'Etat islamique de la province du Khorasan (ISKP), une branche territoriale du groupe jihadiste, a franchi "toutes les fortifications de sécurité" et s'est approché à moins de "cinq mètres de militaires américains" avant de déclencher sa ceinture explosive. L'Etat islamique ne mentionne qu'un seul kamikaze et qu'une seule bombe, quand le Pentagone a pour sa part fait état de deux attentats. Ces derniers jours, beaucoup craignaient une attaque de l'ISKP. Créé en 2015 et reconnu par l'EI, l'organisation terroriste a notamment affronté les talibans ces derniers mois.
Un groupe créé par d'anciens talibans
Le Khorasan est l'ancien nom donné à une région qui s'étalait à la fois sur des parties de l'Afghanistan, du Pakistan, de l'Iran et de l'Asie centrale actuels.
En 2015, un an après la proclamation d'un "califat" en Irak et en Syrie, l'Etat islamique (EI) avait reconnu officiellement la création de la province du Khorasan, dans le cadre de son objectif d'extension dans la région.
La branche armée qui s'y était établie rassemblait alors d'anciens talibans pakistanais, qui avaient proclamé leur allégeance au leader de l'EI, Abou Bakr al-Baghdadi, en 2014, ainsi que de nombreux Afghans déçus par les talibans. Ensemble, ils ont formé la faction de l'ISKP.
Toujours en 2015, le groupe décidait d'installer sa base de commandement dans le district montagneux d'Achin, dans l'est de l'Afghanistan, non loin de la frontière avec le Pakistan. D'autres cellules de la faction s'implantaient ailleurs en Afghanistan, notamment dans la capitale, et au Pakistan, selon les Nations unies.
Le district montagneux d'Achin, dans la province orientale de Nangahrar, dans l'est de l'Afghanistan, où s'est installé le groupe terroriste de l'Etat islamique de la Province du Khorasan, en 2015. (CAPTURE ECRAN FRANCEINFO)
Des attaques ciblées contre les chiites
De mouvance sunnite, le groupe terroriste du Khorasan a notamment ciblé des musulmans chiites en Afghanistan.
Ils sont suspectés d'être à l'origine d'une attaque contre une maternité de Kaboul, qui avait fait 25 morts, dont 16 mères et des nouveaux-nés, en mai 2020. Parmi les victimes figuraient notamment des familles hazaras, une minorité chiite présente en Afghanistan. Une enquête menée par les autorités afghanes, à laquelle a eu accès le journal Libération (article pour les abonnés), établit que "l'attaque contre la maternité [aurait] été décidée en représailles à une opération des forces afghanes contre une cellule de l'Etat islamique".
De même, le 9 mai 2021, une attaque à la bombe a été commise à proximité d'une école pour filles, dans un quartier de Kaboul, majoritairement peuplé d'Afghans chiites hazaras. L'explosion a fait 50 morts et des dizaines de blessés. A l'époque, le président afghan avait accusé les talibans (qui ont, par la suite, nié l'attaque) et l'Etat islamique.
"Il est très probable que ce soit l'Etat islamique qui ait commis les faits", avait analysé Gilles Dorronsoro, politologue spécialiste de l'Afghanistan, contacté par franceinfo.
Entre le 1er janvier et le 11 août, 216 attaques auraient été perpétrées par l'ISKP, contre 34 l'an passé sur la même période, selon un spécialiste occidental de l'EI, connu sous le pseudonyme de "Mr. Q" sur Twitter, où il publie ses recherches.
"Cela fait de l'Afghanistan une des provinces de l'Etat islamique les plus dynamiques", a-t-il déclaré à l'AFP. L'ISKP compterait entre 500 et quelques milliers de combattants, d'après un rapport du Conseil de sécurité de l'ONU publié en juillet.
Un groupe opposé aux talibans
Les relations entre le groupe Etat islamique et les talibans sont conflictuelles, en Afghanistan. A titre d'exemple, après leur prise de pouvoir le 15 août, les talibans ont reçu les félicitations de plusieurs groupes jihadistes, mais pas celles de l'EI.
Depuis que la faction de l'EI s'est installée dans le pays, elle n'a pas réussi à étendre son territoire, se heurtant à la répression des talibans. En 2019, l'armée afghane avait affirmé que l'ISKP avait été vaincu dans la province de Nangahrar, grâce à des opérations conjointes avec les Etats-Unis.
"Les talibans ont également liquidé plusieurs commandants de l'Etat islamique qui étaient détenus dans la base militaire de Bagram, après le départ des troupes américaines", détaille Gilles Dorronsoro auprès de franceinfo.
L'Etat islamique pourrait cependant profiter de la prise de pouvoir par les talibans. "Tout n'est pas directement lié au retrait américain mais la victoire des talibans donne de l'air aussi à l'ISKP", précise "Mr. Q" à l'AFP.
"L'effondrement de l'armée afghane est une étrange réminiscence de ce que nous avons vu en Irak en 2011. Je crains que la même situation se reproduise en Afghanistan, avec simultanément le développement de l'EI et la résurrection d'Al-Qaïda", approuve Colin Clarke, directeur de recherche du Soufan Center, un think tank de géopolitique new-yorkais. La chute de l'armée afghane pourrait entraîner un vide sécuritaire qui profiterait au développement de l'Etat islamique dans le pays.
Le président américain, Joe Biden, a assuré jeudi qu'il n'y avait pas de preuve d'une "collusion" entre les talibans et le groupe Etat islamique dans l'attaque près de l'aéroport de Kaboul.
Des signes de passage à l'acte ces derniers jours
L'activité de l'ISKP s'est brutalement arrêtée depuis 12 jours, selon les observations de plusieurs analystes, dont ExTrac, un groupe privé spécialisé dans le traitement de données sur les groupes jihadistes.
Les filiales de l'EI adoptent généralement cette stratégie lorsqu'elles entrent "en mode survie" ou quand elles préparent une opération. ExTrac semblait retenir la seconde option. "Il y a beaucoup de cibles idéales en ce moment", estimait le groupe dans une série de tweets.