Assa Traoré fait de son audience en diffamation "l'avant-procès" du décès d'Adama
La militante française Assa Traoré à son arrivée au palais de justice de Paris le 7 mai 2021.
Assa Traoré comparaissait, vendredi, devant le tribunal judiciaire de Paris, au second et dernier jour de son procès. Elle est poursuivie en diffamation par les gendarmes qu'elle accuse d'avoir tué son frère Adama Traoré. Le jugement a été mis en délibéré au 1er juillet.
Icône de la dénonciation des violences policières, Assa Traoré a comparu, vendredi 7 mai, devant le tribunal judiciaire de Paris, pour un procès en diffamation, poursuivie par les gendarmes qu'elle accuse d'avoir tué son frère en 2016 dans le Val-d'Oise. En l'absence de perspectives sur un éventuel procès dans cette affaire au fort retentissement médiatique, les parties ont débattu des causes du décès de son frère, transformant le procès pour diffamation en une sorte d'"avant-procès" du décès d'Adama Traoré.
Objet du procès qui s'est tenu sur deux journées : la tribune d'Assa Traoré, intitulée "J'accuse", publiée sur Facebook en juillet 2019, au troisième anniversaire du décès.
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Dans une référence à la formule d'Émile Zola, Assa Traoré citait les noms des gendarmes et les accusait dans une anaphore "d'avoir tué (son) frère Adama Traoré en l'écrasant avec le poids de leurs corps", "de ne pas (l')avoir secouru" et "d'avoir refusé de (le) démenotter en affirmant qu'il simulait".
En février, les gendarmes avaient obtenu une condamnation d'Assa Traoré par la cour d'appel de Paris, devant laquelle ils l'attaquaient au civil pour "atteinte à la présomption d'innocence".
Depuis cinq ans, des juges d'instruction tentent de déterminer les causes du décès de ce jeune homme noir de 24 ans, mort le 19 juillet 2016, dans la caserne de Persan près de deux heures après son arrestation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise (Val-d'Oise), au terme d'une course-poursuite.
Les magistrats s'appuient sur des expertises médicales dont les conclusions divergent sur la responsabilité des gendarmes, pas mis en examen à ce stade.
Depuis cinq ans, la famille Traoré se mobilise pour voir les gendarmes sur le banc des accusés.
"On se battra jusqu'au bout"
À l'appel du collectif La Vérité pour Adama, environ 300 personnes s'étaient rassemblées en début d’après-midi, devant le tribunal pour protester "contre l’impunité des gendarmes" et soutenir Assa Traoré qui, à cause d’un malaise, n’avait pas pu assister aux plaidoiries et réquisitions le matin même.
Les trois militaires, auxquels Assa Traoré espérait être confrontée, étaient eux absents à l'audience.
Pour prouver ou au contraire infirmer les "bases factuelles" nécessaires pour caractériser une diffamation, défense et parties civiles se sont appuyées sur des pièces du dossier d'instruction, toujours en cours.
Elles se sont notamment écharpées sur la durée de l'interpellation, de moins d'une minute pour les avocats des gendarmes à neuf minutes pour Yassine Bouzrou, avocat de la famille Traoré. Ce dernier a plusieurs fois fait un parallèle avec l'affaire George Floyd, récent symbole des violences policières aux États-Unis. "Lorsqu'un individu est entre les mains d'un service public et qu'il décède, on peut estimer qu'il y a une responsabilité des individus qui l'ont interpellé", a tancé Me Bouzrou.
Lorsque les détails de l'interpellation et de la mort d'Adama Traoré sont décrits par l'avocat, dans des termes durs, la mère du défunt éclate en sanglots.
"J'assume cette lettre. Si la justice française à laquelle j'étais censée faire confiance avait fait le travail nécessaire, peut-être qu'à ce moment-là, je n'aurais pas eu envie d'écrire cette lettre", s'est-elle défendu.
Le procureur Yves Badorc a demandé au tribunal de la condamner car "le droit à l'indignation a ses limites".
Pour Me Sandra Chirac Kollarik, avocate d'un militaire cité dans la tribune, "le but depuis le départ n'est pas la recherche de la vérité mais de s'approcher de l'établissement du postulat de la famille depuis le premier jour : la culpabilité des gendarmes".
"Cette tribune n'a plus rien à voir avec la justice", a abondé Me Thibault de Montbrial, conseil d'une gendarme qui s'est portée partie civile. "La justice qui est demandée, ça n'est plus d'avoir une décision mais une condamnation coûte que coûte de tout le monde", a-t-il ajouté.
À la fin du procès, l'ambiance jusque-là sereine s'est tendue et chargée émotionnellement.
Le public de 70 personnes, silencieux durant l'audience, a soudain abondamment applaudi la longue plaidoirie de l'avocat, et la prise de parole d'Assa Traoré. "On se battra jusqu'au bout. S'il le faut j'y laisserai ma vie pour avoir la vérité et la justice", a-t-elle lancé.
La décision a été mise en délibéré au 1er juillet.