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Économie et marchés

Après Alibaba, Pékin lance un avertissement aux autres Gafam chinois

Le siège du géant du e-commerce chinois Alibaba, à Hangzhou, le 5 février 2020. En condamnant Alibaba, l’Amazon chinois, à une amende record de 2,3 milliards d’euros, Pékin a voulu faire un exemple. Les autres géants du numérique du pays sont appelés à rentrer dans le rang sous peine de sanctions, signe d’un tournant dans un secteur jusque là peu régulé. C’est un ultimatum lancé aux géants de la tech chinois. Les autorités ont donné, mardi 13 avril, "un mois" au secteur du numérique pour corriger toute entrave à la concurrence. Elles ont appelé 34 entreprises, dont Bytedance, propriétaire de TikTok, Baidu, le Google chinois, ou encore Tencent, à l’origine de l’application de messagerie WeChat, à "tenir compte du cas Alibaba" sous peine de subir le même sort. Symbole de réussite dans l’économie numérique, Alibaba, le géant du e-commerce, a en effet été condamné samedi à une amende record de 2,3 milliards d’euros pour abus de position dominante. Il s’agit de la plus forte amende antitrust jamais imposée en Chine. Le groupe s'est notamment vu reprocher d'exiger l'exclusivité des commerçants souhaitant vendre leurs produits sur ses plateformes, au détriment des sites concurrents. La concurrence déloyale "est un frein à l'innovation et au développement et porte atteinte aux intérêts des [...] consommateurs", a justifié mardi dans un communiqué l'Administration chinoise du cyberespace (CAC). >> À voir, notre émission Tech24 : "La régulation made in China" Reprise en main Après avoir favorisé l’émergence de champions du numérique pour servir de contrepoids aux Gafam américains (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), Pékin s’inquiète de leur influence grandissante. En position de leaders absolus en Chine, ces géants du numérique, surnommés BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et le constructeur de téléphones Xiaomi), ont pu consolider leur position dominante dans un marché protégé des incursions étrangères et soumis à la censure. Baidu a par exemple profité de l’interdiction faite à Google de déployer ses services pour devenir le moteur de recherche incontournable dans le pays. "Pékin continue et continuera à soutenir de manière extrêmement forte ses entreprises du numérique", nuance Nicolas Mazzucchi, chargé de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique. "Néanmoins, les autorités considèrent que c’est le bon moment pour taper du poing sur la table et faire passer le message qu’in fine en Chine, c’est le Comité central du Parti communiste qui décide. Pas les entreprises." Ces dernières années, de nombreuses lois encadrant l’utilisation des données personnelles ou encore les crédits en ligne sont venues durcir une législation jusqu’ici plutôt coulante avec ces entreprises. Et ce mouvement de reprise en main semble s’accélérer. En mars, douze patrons de la tech chinoise ont été condamnés à une amende inédite pour entrave à la concurrence. Quelques mois plus tôt, les autorités ont bloqué un projet d’introduction en Bourse à 37 milliards de dollars d’Ant Group, une ancienne filiale d’Alibaba. Il s’agissait de la plus grosse entrée en Bourse de tous les temps. Autre épisode emblématique : "la disparition" de Jack Ma pendant 88 jours. Dans un discours prononcé à Shanghai le 24 octobre, le fondateur d’Alibaba avait critiqué les banques publiques et appelé à un "système financier plus sain" avant de se volatiliser. Lorsqu’il était réapparu, c’était pour défendre "une nouvelle phase de développement" et l’action du régime "vers la prospérité commune". "La crainte de voir des superstructures posséder les moyens d’échapper au contrôle politique fait très peur au pouvoir chinois", précise Nicolas Mazzucchi, qui rappelle que cette reprise en main brutale concerne de larges pans de l’économie. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, des procès anticorruption en cascade ont notamment visé des dirigeants du secteur pétrolier. >> À lire aussi : "Chine : Jack Ma, le fondateur d'Alibaba, ne répond plus" Complexe militaro-industriel Tout comme aux États-Unis et en Europe avec les Gafam, la Chine cherche donc à davantage contrôler ses géants de la tech mais en poursuivant des objectifs différents. "Aux États-Unis et en Europe, on s’inquiète de la question de l’évasion fiscale et des libertés publiques", analyse Nicolas Mazzucchi. "Côté chinois, il s’agit d’appliquer la doctrine de la fusion civilo-militaire : dans l’ensemble des domaines, on considère que les entreprises doivent être complètement intégrées au complexe militaro-industriel chinois pour achever une forme de domination technologique à l’horizon 2035-2040." Et cette offensive juridique destinée à forcer les BATX à servir les intérêts étatiques se poursuit. Quelques jours après la gifle financière infligée à Alibaba, Ant Group, qui possède la très populaire application de paiement en ligne Alipay, a été sommée de se restructurer. L’entreprise va devenir une holding dans laquelle l’État sera actionnaire et devra désormais suivre les mêmes règles que les banques traditionnelles. Reste à savoir si, après Alibaba et Ant Group, le gouvernement chinois compte désormais s’attaquer à d’autres géants du numérique. "Le chemin est extrêmement périlleux pour le pouvoir chinois", prévient Nicolas Mazzucchi. "Si les autorités frappent trop fort, elles pourraient aussi casser le modèle de ces entreprises."

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