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À Paris, des "mamans pragmatiques et efficaces" pour aider les réfugiés ukrainiens

REPORTAGE Environ 900 Ukrainiens viennent récupérer des dons chaque mercredi, lors des distributions solidaires organisées depuis le 19 mars 2022 par le collectif des Mamans de Paris pour l'Ukraine. Depuis l'invasion de l'Ukraine le 24 février, la France a accueilli quelque 100 000 réfugiés sur son sol. Le pays peut compter sur l'élan de solidarité des collectivités, des entreprises mais aussi des particuliers. Reportage aux côtés des Mamans de Paris pour l'Ukraine, un collectif sur le pont depuis près de quatre mois. Le rendez-vous est maintenant bien connu. Il est 13 heures dans les couloirs du centre commercial du Palais des congrès de Paris, dans le très chic 17e arrondissement. Au milieu des enseignes haut de gamme, une boutique aux couleurs du drapeau ukrainien détonne. La longue file d'attente aussi. Dans la foule, des jeunes, des personnes âgées et, surtout, beaucoup de mères et d'enfants. Tous ont fui l'Ukraine, pays ravagé par la guerre, et ont trouvé refuge à Paris ou en banlieue parisienne. Chaque mercredi, le collectif des Mamans de Paris pour l'Ukraine leur donne rendez-vous dans cette ancienne boutique de vêtements. Une mine d'or de quelques mètres carrés pour ces réfugiés, qui peinent à joindre les deux bouts et à offrir le confort nécessaire à leurs enfants. Tirant un cabas à roulettes plein à craquer, Nadiia, une grande blonde aux cheveux lisses, a le sourire aux lèvres. "Je viens pour mon fils. Ici, je peux récupérer pour lui des couches, des chaussures ou encore des vêtements. Je n'en trouve pas gratuitement à Chaville [sa ville de résidence] donc je viens vraiment ici pour ça. Je suis obligée parce que je n'ai pas de travail en France", explique la jeune mère de 27 ans, qui était psychologue en Ukraine. Légumes, boîtes de conserve, lait en poudre, jouets et même bijoux : ici, on trouve de tout. Chacun peut prendre ce qu'il veut, dans les quantités qu'il souhaite. Les dons ne manquent pas et viennent d'un peu partout. "Hier, nous avons présenté notre collectif au siège de Procter & Gamble [la multinationale qui possède notamment la marque Pampers] et ils ont accepté de nous donner plus de 40 000 couches", se réjouit Barbara Levy-Frebault, la responsable des opérations de distribution. Faire de l'associatif sans formation, un défi Les particuliers, eux, font leurs dons aux "mamans relais" de leur quartier ou, à la fin de leurs courses, aux bénévoles présents dans les supermarchés. De son côté, le collectif pioche dans sa trésorerie – 60 000 euros obtenus auprès d'entreprises et de particuliers grâce au travail d'une bénévole chargée de lever des fonds – pour acheter des produits à prix coûtant. C'est le principe d'un de leurs partenariats, passé avec un magasin Intermarché de l'arrondissement. Derrière cette collaboration, il y a un pilier : le gérant de l'établissement, qui n'est autre que le père de Karolina Bloch, cofondatrice du collectif. Depuis mars, cette Franco-Polonaise, mère de trois enfants, s'est également chargée d'organiser sept convois de produits de première nécessité en Ukraine. >> À lire aussi : "Débrouille et système D, le nouveau quotidien des familles d'accueil d'Ukrainiens en France" "On n'est pas des pros de l'associatif mais pour trouver des fonds et des partenariats, on s'appuie sur nos compétences et sur notre réseau, ceux de chaque bénévole. Et on a une vraie diversité des profils", assure Barbara Levy-Frebault, l'une des bénévoles les plus actives, qui est aussi directrice de l'innovation dans un groupe de la tech. À quelques mètres d'elle, Sergueï, en sueur, pousse un chariot de boîtes de conserve qu'il vient de décharger de sa camionnette. Ce grand brun costaud a le physique de l'emploi : il travaille dans le bâtiment. Devant lui, Jean-Étienne, libraire, donne des consignes en russe aux Ukrainiens qui patientent dans la file, tandis que Véronique, ingénieure chez Enedis, s'affaire en réserve pour ranger de nouveaux cartons. "J'ai découvert le collectif sur Instagram", explique cette jeune femme aux grands yeux bleus. "Au départ, j'ai pris contact avec les bénévoles pour leur donner des vêtements dont je ne voulais plus. Dès le lendemain, j'ai vu mes cartons de vêtements en photo sur Instagram. Au moins, c'est concret !", se réjouit-elle. La force des réseaux sociaux Les réseaux sociaux constituent le point de départ de cette aventure humaine. "Au départ, j’étais comme tout le monde, abasourdie par ce qu’il se passait en Ukraine avec un sentiment d’impuissance terrible, et surtout l’envie d’aider. J’ai répondu à un appel de Karolina Bloch sur un groupe Facebook de mamans de mon quartier. On ne se connaissait pas. Elle cherchait des médicaments pour les envoyer en Ukraine. Et j’en avais. En s’appelant, on s'est dit qu'on pouvait collecter massivement et plus efficacement en créant un réseau de mamans chargées d'organiser des points de collecte en Île-de-France", explique Margaux Lemoîne, qui a cofondé le collectif. Le jour même, le 4 mars, les deux femmes lancent un groupe Facebook. "En quelques jours, on avait 40 'mamans relais' et l’équipe de base était créée", résume cette journaliste en reconversion professionnelle. Aujourd'hui, le collectif, qui organise toutes ses actions sur des groupes WhatsApp, réunit 4 600 membres sur Facebook, près de 1 300 abonnés sur Instagram, et a compté jusqu'à 250 bénévoles actifs. Environ 450 adultes et autant d'enfants ukrainiens se rendent à chaque distribution. "Les réseaux sociaux ont permis une croissance exponentielle. Je ne pensais pas que c'était possible", s'étonne Barbara Levy-Frebault. Pour Margaux Lemoîne, le nom même du collectif a aussi participé au développement de la communauté. "Il est efficace, droit au but, quitte à être segmentant. Le but était de fédérer un réseau solidaire très rapidement. Même si évidemment notre collectif est ouvert à tous depuis le début", affirme-t-elle. Un pari gagnant, alors que la majorité des réfugiés ukrainiens sont des femmes et des enfants, les hommes étant restés au pays pour participer à l'effort de guerre. "Notre nom est rassurant pour ces familles ukrainiennes, avec cette notion universelle de mamans protectrices", ajoute cette mère de trois enfants qui se charge de structurer et de développer le collectif. Ironie du sort, la charge mentale supportée par les mères de famille a fait la force de l'équipe. "Les mamans sont habituées à jongler entre leur boulot, leurs enfants, la logistique à la maison et la gestion de mille problèmes à la fois. Donc elles sont souvent très pragmatiques et efficaces", estime Margaux Lemoîne. Vers un nouveau départ Le collectif n'étant pas une association, chacun s'investit à son échelle. "Certains ont dû mettre leur vie professionnelle et familiale entre parenthèses. On est à fond depuis début mars. Pour les responsables de missions et l’équipe rapprochée, c’est très engageant et intense, sans coupures le soir et le week-end", admet Margaux Lemoîne, qui constate un "essoufflement des dons" et une baisse du nombre de bénévoles actifs. >> À lire aussi : "L'accueil des réfugiés ukrainiens en Pologne, ou comment panser les plaies de l'Histoire" Autre obstacle : la salle où se déroulent les distributions a été prêtée par la mairie et devra être rendue fin juin. Raison de plus pour envisager l'avenir du collectif. "On réfléchit à une autre manière d’aider, moins chronophage, avec plus d’autonomie pour les bénévoles qui souhaitent continuer à s’investir", poursuit Margaux Lemoîne. Le collectif Les Mamans de Paris pour l'Ukraine souhaite créer un système de parrainage, qui permettrait à des réfugiés d'être accompagnés par des bénévoles pour, par exemple, trouver un emploi. Des actions jugées plus en phase avec le contexte actuel : des Ukrainiens rentrent désormais dans leur pays et les arrivées sont aujourd'hui moins importantes qu'au printemps. "On n'est plus dans une situation d'urgence", constate Margaux Lemoîne. Même si une page se tourne, la jeune femme reste optimiste. "Après quatre mois d'existence, notre slogan est validé : 'Ensemble, on peut vraiment déplacer des montagnes !'"

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